Une afficha de la campagne présidentielle de Petro Porochenko, à Slaviansk (Ukraine), le 28 mars. / GLEB GARANICH / REUTERS

Editorial du « Monde ». Si imparfaite et brouillonne soit-elle, la démocratie ukrainienne existe, et elle constitue une rareté précieuse dans l’espace post-soviétique de l’Europe orientale. Moscou se plaît à dépeindre la scène politique ukrainienne comme un « cirque » ou un « chaos », et tente d’ores et déjà de disqualifier le scrutin présidentiel qui est organisé dimanche 31 mars. Ce processus démocratique élémentaire doit, au contraire, être encouragé.

Ces cinq dernières années, la scène politique et l’opinion ukrainiennes ont profondément évolué. Pour la première fois dans l’histoire de ce jeune pays, l’élection à venir n’est pas le théâtre d’une opposition entre prorusses et pro-européens. L’orientation européenne de l’Ukraine qui s’était exprimée lors de la révolution de Maïdan, en 2014, fait aujourd’hui l’objet d’un quasi-consensus. Le Kremlin y est pour beaucoup : l’annexion de la Crimée et la guerre dans l’est du pays ont achevé de détourner la majorité des Ukrainiens de l’ancien « grand frère » russe.

Modèle alternatif

Cela ne doit pas conduire à occulter ou à minimiser les importantes lacunes de la nouvelle Ukraine, son incapacité à se réformer en profondeur et le rôle toujours prépondérant qu’y jouent les élites de l’ancien régime. Mais cette Ukraine-là doit être­ soutenue. Son succès serait celui de l’Europe tout entière. Son échec serait, à l’inverse, une source importante de déstabilisation, et du pain bénit pour le Kremlin, qui ne supporte pas l’idée de voir un modèle alternatif au sien s’imposer dans ce qu’il considère toujours comme son pré carré ou, à tout le moins, son aire d’influence.

Les Ukrainiens eux-mêmes ne croient pas à une adhésion rapide à l’Union européenne. Ils espèrent que le rapprochement avec l’Europe les aidera à changer leur pays. Les Occidentaux, eux, doivent faire preuve du même réalisme : s’ils ont eu raison de faire pression sur Petro Porochenko durant tout son mandat, n’hésitant pas à frapper au portefeuille lorsque celui-ci se montrait récalcitrant dans la lutte contre la corruption, il serait naïf d’attendre un bouleversement complet et aussi rapide du pays. Aucune révolution ne peut réussir en seulement cinq ans.

Il existe une autre raison majeure de ­continuer à soutenir l’Ukraine : le conflit qui se poursuit dans l’est du pays. Celui-ci est tout sauf gelé. Depuis la signature des accords de paix de Minsk, en février 2015, 7 000 personnes sont mortes dans le Donbass, soit davantage qu’avant ce cessez-le-feu.

La « fatigue » ukrainienne

Si Kiev a une part de responsabilité dans la perpétuation des violences, il ne faudrait pas oublier l’essentiel : c’est bien Moscou qui a attisé les braises du conflit, après avoir annexé la Crimée, puis qui a envoyé son armée combattre sur le sol de son voisin. Reprocher à l’Ukraine de ne pas ­appliquer l’intégralité de ses obligations issues du protocole de Minsk est légitime, mais peu pertinent tant que la Russie ­continue de livrer des armes à ses protégés et à entretenir les hostilités.

Il est un mot, à Kiev, pour désigner la crainte de voir les Occidentaux se détourner du destin de l’Ukraine : la « fatigue » ukrainienne. C’est sur elle que comptent le Kremlin et ses alliés européens pour aboutir à une levée des sanctions prises contre Moscou et à un lâchage en rase campagne de l’allié ukrainien. L’élection de dimanche, quel que soit son résultat, constitue une bonne occasion de contrecarrer ce risque.