Le pape François à Rabat, au Maroc, alors qu’il vient de célébrer une messe, le 31 mars. / FADEL SENNA / AFP

Le pape François n’a pas oublié la cause des migrants. Lors de sa visite au Maroc, samedi 30 et dimanche 31 mars, le chef de l’Eglise catholique a replacé ce sujet au centre de son action. Depuis quinze mois, la succession de scandales sexuels dans l’Eglise catholique avait rendu difficilement audible, venant de son chef, tout autre sujet que celui des abus. Aussi avait-il dû mettre la question des réfugiés quelque peu en sourdine. Mais au Maroc, devenu le premier point de passage vers l’Europe, il a repris la charge contre cette « grande et grave blessure qui continue à déchirer le début de ce XXIe siècle ».

« Ce phénomène ne trouvera jamais de solution dans la construction de barrières, dans la diffusion de la peur de l’autre. »

Alors que l’Espagne s’est efforcée d’endiguer les entrées sur son territoire en érigeant autour des enclaves de Ceuta et Melilla, au Maroc, des clôtures couronnées de barbelés coupants, le pontife argentin a répété tout le mal qu’il pensait de la stratégie du château fort. « Ce phénomène ne trouvera jamais de solution dans la construction de barrières, dans la diffusion de la peur de l’autre », a-t-il déclaré devant les autorités marocaines.

« Ceux qui construisent les murs finiront prisonniers des murs qu’ils construisent », a-t-il lancé dimanche, lors d’une conférence de presse dans l’avion qui le ramenait à Rome. Il a mis en garde contre les conséquences de politiques fondées sur la peur, « qui est le prêche habituel des populistes ». « La peur est le début des dictatures », a-t-il lancé, en se référant explicitement à la chute de la République de Weimar : « Cela a donné Hitler, nous connaissons le résultat. »

A Rabat, la veille, François avait demandé que le pacte mondial pour une migration sûre, ordonnée et régulière, signé en décembre 2018 à Marrakech dans le cadre des Nations unies, devienne « une référence pour toute la communauté internationale ». Il a réclamé aux gouvernements « l’élargissement des canaux migratoires réguliers » et s’est élevé contre « les formes d’expulsion collective », qui « ne doivent pas être acceptées ». Il a souhaité que le pacte conduise à « un changement de dispositions envers les migrants »à qui doivent être reconnus, « dans les faits et dans les décisions politiques, les droits et la dignité ».

« Sociétés interculturelles »

Tout en restant sévère avec les gouvernements européens qui « laissent se noyer » des migrants ou les « renvoient en sachant que beaucoup d’entre eux tomberont entre les mains des trafiquants », le pape argentin a étoffé son propos sur les conditions d’une intégration réussie dans le cadre de la construction d’une « société interculturelle et ouverte ».

Celle-ci ne peut advenir que si chacun – sociétés d’accueil comme migrants – y met du sien. Les sociétés doivent faire en sorte d’« accueillir, protéger, promouvoir et intégrer » ceux qui viennent chercher chez elles un avenir. De leur côté, les nouveaux arrivants doivent être des « protagonistes » actifs et volontairesde leur processus d’intégration, sans se contenter d’être de simples destinataires « d’actions d’assistance ».

« Il y a un voyage qui nous engage tous, migrants et autochtones [...]. »

Ils doivent être encouragés à apprendre la langue de leur pays d’accueil et faire l’objet de « toute forme positive de responsabilisation des migrants envers la société qui les accueille, apprenant à y respecter les personnes et les liens sociaux, les lois et la culture ». « Nous savons qu’il n’est pas du tout facile d’entrer dans une culture qui nous est étrangère, aussi bien pour celui qui arrive que pour celui qui accueille », a observé François.

C’est la première fois qu’il s’exprime ainsi sur les écueils de l’intégration. « Il y a un chemin à faire ensemble (…), un voyage qui nous engage tous, migrants et autochtones, dans l’édification de villes accueillantes, plurielles et attentives aux processus interculturels », a-t-il plaidé.

Après Le Caire et Abou Dhabi, Rabat était aussi une étape de son travail de diplomatie religieuse envers l’islam, destinée à dépasser « les tensions » et les « stéréotypes » qui « conduisent toujours à la peur », pour « opposer au fanatisme et au fondamentalisme la solidarité de tous les croyants », fondée sur « des valeurs communes ».

Cette diplomatie se construit par petits gestes faits en commun. Aux Emirats arabes unis, début février, il avait signé avec le grand imam de l’université égyptienne Al-Azhar un « document sur la fraternité humaine ». Au Maroc, avec le roi Mohammed VI, il a signé un appel commun pour que soit « conservé et promu le caractère spécifique multireligieux » de Jérusalem. Le dialogue interreligieux est lui aussi nécessaire à la « société interculturelle » rêvée par François.