« Diriger la France, je l’ai éprouvé, est un exercice difficile qui suppose de bien comprendre notre pays. Le résultat au bout de deux ans n’est bon ni pour la vitalité économique, ni pour la cohésion sociale. » L’ancien chef de l’Etat François Hollande tacle son successeur Emmanuel Macron, dans une interview au Parisien, dimanche 31 mars.

« A vouloir tout bousculer, tout s’est arrêté », poursuit l’ancien président, qui publie mercredi une édition augmentée, en poche, de son livre Les Leçons du pouvoir – déjà vendu à 150 000 exemplaires –, avec trois nouveaux chapitres, dont un aborde le mouvement des « gilets jaunes ». « Mais un mandat dure cinq ans, évitons de porter des jugements définitifs, tempère-t-il. Tout président peut toujours opérer des corrections. Moi-même, j’en ai fait. Pour ma part, si j’interviens à l’occasion de la nouvelle édition de mon livre, c’est pour alerter. »

« La menace vient de l’extrême droite »

Dans cette interview, M. Hollande met en garde les partis de gouvernement « face au décrochage des catégories populaires par rapport à la politique » : ceux-ci doivent « prendre conscience de leur responsabilité. Ça vaut pour la gauche comme pour la droite. Ils ne doivent céder ni à l’outrance ni à la surenchère. Ils doivent être de nouveau des alternatives crédibles et mobilisatrices, sinon le face-à-face entre le pouvoir actuel et l’extrême droite peut mal finir ». Ne confondant pas La France insoumise et le Rassemblement national, M. Hollande affirme que « la menace vient de l’extrême droite ». « Un jour, elle arrivera au pouvoir en France. En 2022 ou plus tard… puisqu’elle prétendra que c’est la seule qui n’a pas été essayée. »

Interrogé sur ce qu’il aurait fait s’il avait été confronté à une crise telle que celle des « gilets jaunes » durant son mandat (2012-2017), M. Hollande rappelle la fronde fiscale des bonnets rouges qu’il avait subie en 2013. Il saisit l’occasion d’enfoncer le clou contre Emmanuel Macron, qui fut son conseiller avant de devenir son ministre de l’économie : « L’écotaxe dont j’avais hérité de mon prédécesseur n’était pas comprise […]. J’ai donc pris la décision de la suspendre. Le recul est parfois préférable à l’entêtement. Ça m’a été reproché par certains à cette époque. Je constate que le gouvernement actuel a battu en retraite. Mais trois semaines trop tard. »

Il regrette aussi que la fiscalité carbone ait finalement disparu. Selon lui, elle aurait pu être acceptée si elle avait été accompagnée par « des mesures sociales compensatoires et avec des solutions alternatives sur le plan de la mobilité ».

« Un ancien président ne devrait pas dire ça »

S’agissant du maintien de l’ordre lors des manifestations des « gilets jaunes », il estime aussi que les décisions prises par le gouvernement actuel sont venues trop tard : « J’aurais immédiatement interdit de manifester dans certains lieux. Comme les Champs-Elysées. Moi-même, j’avais pris une telle décision lorsque les organisateurs des manifestations contre le mariage pour tous en avaient fait la demande », affirme-t-il.

Pour sortir de cette crise, il estime que le grand débat est une « méthode pertinente ». En mesure d’urgence, il préconise le rétablissement de l’impôt sur la fortune (ISF) et le renforcement de la fiscalité sur les revenus du capital. Sur le long terme, il suggère un « nouvel acte de décentralisation » pour répondre au « sentiment d’abandon qui s’exprime » dans certains territoires. Il faut aussi, d’après lui, « humaniser encore les services publics » et développer « une vision commune de notre avenir autour de l’écologie, de l’éducation et de l’engagement citoyen ».

Réagissant aux critiques de François Hollande à l’encontre d’Emmanuel Macron, la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa a déclaré sur BFM-TV qu’un « ancien président ne devrait pas dire ça », dans une allusion au livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, grands reporters au Monde, qui a fragilisé M. Hollande à la fin de son quinquennat. « Je crois que ce n’est pas à la hauteur de la fonction d’un ancien président de la République », a-t-elle dit.

M. Hollande dit ne pas souhaiter revenir dans la vie partisane. Dans Les Leçons du pouvoir, il exprime notamment sa volonté de « contribuer à [la] renaissance » de la social-démocratie « dans les mois et années à venir », et critique la stratégie mise en œuvre par le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure : « A chercher à tout prix le rassemblement avant de poser clairement la question de leur identité, les socialistes perdent un temps précieux pour formuler leur nouveau projet et réaffirmer leur volonté de gouverner un jour le pays en tirant les leçons des erreurs d’hier », affirme-t-il.

Il y esquisse de nouvelles idées, proposant notamment pour mettre en œuvre la transition écologique « un triptyque : planification, nationalisation et autogestion ».