Les obsèques de la réalisatrice Agnès Varda, mardi 2 avril au cimetière du Montparnasse, à Paris. / Francois Mori / AP

Il y a pratiquement trente ans que Jacques Demy (1931-1990) dort sous un cèdre, dans une jolie tombe blanche qu’un lierre entoure comme une caresse au cimetière du Montparnasse, à Paris. Ce mardi 2 avril, la réalisatrice Agnès Varda, sa femme, est allée s’y coucher à son tour, à l’âge de 90 ans.

Début d’après-midi. Ciel sans nuage, lui qui a pleuré toute la matinée. La foule s’agglutine autour de l’estrade dressée pour l’occasion. Sur les rangées de sièges, la famille à droite, les officiels et sa famille de cinéma à gauche. Une liste longue comme le bras : JR, Laetitia Casta, les Karmitz, Jane Birkin, Julie Gayet, Jacques Toubon et Orlan, Sophie Calle et Jean-Michel Othoniel, Franck Riester et Christophe Girard, Sandrine Kiberlain…

Et puis il y a les inconnus, tous ces héros de Varda, glanés au fil de ses films. Zhang Zixi, et He Qian, deux jeunes Chinoises de 22 ans, ont apporté des pensées. Anaïs, 38 ans, assistante sociale, qui arrive tout essoufflée, un petit pot de fleurs jaunes à la main, comme on va à l’enterrement d’une amie :

« Si j’avais eu le temps, j’aurais fait germer des pommes de terre. J’ai l’impression que ses films ont été faits pour moi, les gens qui ne rentrent pas dans la cagette. »

« Ta mère en patate à Venise ! »

Tout ce petit monde se mélange. Sans ordonnance. Chiara Mastroianni rattrape sa mère, Catherine Deneuve, qui court éternellement partout. Jean-Pierre Léaud est en train de prendre froid au dernier rang pendant que Laure Adler veut faire la conversation avec Audrey Azoulay. C’est un pêle-mêle digne de la réalisatrice. Galerie de jeunes premières, de fleurs de printemps, de rombières extatiques assises sur les tombes, et de fans de la première heure. Gisèle Janin, 77 ans, venue d’Igny, dans l’Essonne, cherche à se rappeler dans quel cinéma elle a vu autrefois Cléo de 5 à 7. « Agnès Varda, je l’ai croisée deux fois, et à chaque fois elle m’a embrassée. » On sent l’envie de parler chez ces gens à qui la réalisatrice n’a cessé de vouloir donner la parole.

Quelques larmes, des yeux rougis, l’émotion par en dessous, comme toujours dans les enterrements. Et puis des rires, des regards joyeux, irrédentistes, lorsque par exemple, après avoir apporté solennellement les gerbes de fleurs, les employés des pompes funèbres – on ne dit plus croque-mort, surtout en ces circonstances où l’on a tant croqué la vie –, reviennent avec des petits paniers de patates.

Depuis Les Glaneurs et la glaneuse, la pomme de terre, ce tubercule déprécié, est devenu l’emblème de la réalisatrice. Mathieu Demy raconte ainsi comment sa mère a fait son entrée dans l’art contemporain « à 75 ans, en déambulant à la Biennale de Venise déguisée en patate. C’est pas rien : en patate, les gars ! Ta mère en patate à Venise, c’est une réalité ! ». Il se marre. Tout le cimetière rit avec lui.

Alors que l’enterrement (la noce ?) se mue en un serpent processionnaire devant la tombe des amants réunis, sur la scène, Matthieu Chedid et Yarol Poupaud emplissent le cimetière de leurs riffs de guitare vengeurs : « Are you a lucky little lady in the city of light ? Or just another lost angel ? » (« es-tu une chanceuse petite dame dans la ville de lumière ? ou un ange perdu de plus ? »). L.A. Woman, des Doors. Faites gaffe, au paradis : Agnès Varda arrive. Et elle a toujours la patate.