Ils sont plusieurs centaines à dormir à la rue, dans des tentes installées aux abords du périphérique, dans le nord de Paris. Des migrants, originaires majoritairement du Soudan et d’Afghanistan. Le constat n’est pas nouveau mais, depuis une semaine, il ravive le bras de fer entre la Mairie de Paris et le gouvernement, la première accusant le second de ne pas assurer la mise à l’abri des demandeurs d’asile. « Je suis en colère. Je ne comprends pas pourquoi l’Etat laisse ainsi prospérer l’indignité et le chaos aux portes de la capitale », a déclaré Anne Hidalgo, mercredi 27 mars, lors d’un déplacement porte de la Chapelle et porte d’Aubervilliers, où se concentrent ces campements.

L’élue socialiste a décidé de mettre une « pression bienveillante » sur l’Etat. Elle compte se rendre chaque semaine sur le terrain, « tant que l’Etat n’aura pas pris la mesure de ses responsabilités », a indiqué lundi 1er avril son premier adjoint, Emmanuel Grégoire. Les élus redoutent que la situation ne dégénère et ne devienne « explosive ». Avec la fin de la trêve hivernale et le retour des beaux jours, la maire s’attend en effet à ce que des centaines de personnes viennent grossir ces campements.

« 2 000 fermetures »

Selon le décompte réalisé vendredi 29 mars par France Terre d’asile (FTDA), entre 750 et 1 500 personnes dormaient à la rue dans le nord de la capitale. Une fourchette large qui s’explique par le fait que l’association comptabilise les tentes sans savoir si celles-ci abritent plutôt une ou deux personnes. « On rentre dans une période où il y a en général trois fois plus d’arrivées que l’hiver », prévient Simon Bichet, responsable de la maraude parisienne de FTDA. « La situation est extrêmement préoccupante, estime à son tour Florent Gueguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). A partir du 31 mars, on assiste à la fermeture des places hivernales qui hébergent majoritairement des personnes migrantes sans domicile fixe. En Ile-de-France, même si le gouvernement a annoncé la pérennisation de 2 200 places, cela représente 2 000 fermetures d’ici au mois de juin. »

M. Gueguen craint aussi que l’Etat suspende le financement des places d’hébergement en Ile-de-France lorsque celles-ci sont occupées par des personnes déboutées de leur demande d’asile (et qui ont vocation à être éloignées), des personnes « dublinées » (et dont la prise en charge relève d’un autre Etat membre), ainsi que des réfugiés (qui doivent basculer dans le logement de droit commun au bout de six mois). Selon la FAS, cela pourrait concerner jusqu’à 2 500 personnes de plus.

Dans un courrier adressé à Mme Hidalgo le 28 mars, en réponse à sa prise de parole publique, le préfet de région, Michel Cadot, défend son action. Il rappelle que la région dispose de 22 000 places d’hébergement destinées aux demandeurs d’asile et qu’elle a mis à l’abri depuis le début de l’année plus de 2 000 personnes présentes dans les campements. Le tout dans un contexte où la demande d’asile a augmenté de 22 % en 2018. En Ile-de-France, la hausse atteint « plus de 45 % », précise M. Cadot.

Dans son courrier, il souligne par ailleurs qu’« une proportion non négligeable » des personnes recensées sur la voie publique ont été déboutées de leur demande d’asile et doivent faire l’objet de « procédures de reconduite ». Un constat qui n’est toutefois pas recoupé par les associations présentes sur le terrain. « Sur les cent dernières personnes interrogées sur les campements par FTDA en mars, trois ont été déboutées de l’asile », remarque Simon Bichet.

La population des campements se répartit généralement en trois profils. Elle comprend une forte proportion de personnes en procédure Dublin. Il s’agit de personnes qui, en général, attendent l’expiration du délai – long de six à dix-huit mois – au terme duquel elles peuvent à nouveau demander l’asile en France. Cette situation favorise à la fois l’embolie du système d’hébergement – puisque les « dublinés » ont le droit à l’hébergement – et aussi la mise à la rue des personnes qui, lorsque la menace d’être transférées dans l’Etat responsable de leur situation se concrétise, prennent la fuite.

On retrouve aussi dans les campements parisiens des personnes en procédure classique de demande d’asile et « des personnes qui veulent demander l’asile mais qui ne sont pas encore passées en préfecture, car l’accès à la procédure d’asile se fait par le biais d’une permanence téléphonique saturée », détaille Simon Bichet. En France, un demandeur d’asile sur deux seulement est hébergé, et l’Ile-de-France concentre plus de la moitié de la demande d’asile.