Lors du match face à Nîmes, le 10 février, à la Beaujoire. / LOIC VENANCE / AFP

Le FC Nantes (FCN) se déplace sur la pelouse du Paris-Saint-Germain en demi-finale de la Coupe de France, mercredi 3 avril, en quête d’un exploit pour sauver une triste saison. Marqués par la disparition de leur coéquipier Emiliano Sala, mort le 21 janvier dans l’accident de son avion qui le menait à Cardiff où il venait d’être transféré, les joueurs nantais ont, depuis lors, enchaîné les matchs de façon de plus en plus poussive, comme en témoigne la défaite face à Lille (2-3), dimanche 31 mars, alors qu’ils menaient de deux buts en seconde mi-temps.

Le choc suscité par ce décès n’est certainement pas étranger au parcours erratique d’une équipe qui, à l’automne 2018 avant même ce tragique événement, avait déjà donné des signes de fragilité. Et l’ampleur de ce choc est telle que ses effets ne sauraient se résorber aussi rapidement et simplement.

« Chaque jour, j’arrive à 7 h 30 et je repars à 20 heures. Tout ce temps je pense à lui », déclare ainsi, à propos d’Emiliano Sala, l’entraîneur du FCN, Vahid Halilhodzic, dans un entretien au Parisien, le 2 avril. « C’est difficile car partout où l’on passe, on a cette image qui nous est remise en tête par une parole, une photo, des chants. On a un cœur et ça pèse encore sur les consciences », relatait de son côté, il y a quelques jours, le milieu défensif Abdoulaye Touré, dans un entretien à L’Equipe.

Feuilleton qui se prolonge

Le processus de reconstruction a été rendu compliqué par la nature même du drame : entre l’annonce de la disparition de l’avion, le début, l’interruption et la reprise des recherches pour retrouver les corps, et désormais la bataille juridique entre Nantes et Cardiff concernant le règlement du montant du transfert, le feuilleton s’allonge et continue de diffuser dans les esprits.

« Certains étaient peut-être dans le déni le temps que le corps de Sala soit retrouvé. Quand les événements se prolongent, le processus de deuil peut prendre un peu plus de temps, même si chaque individu peut le vivre différemment », analyse Emilie Thienot, psychologue et membre du directoire de la société française de psychologie du sport

Aujourd’hui, Abdoulaye Touré reconnaît toute la difficulté qu’il y a, pour lui et ses coéquipiers, à redonner du sens à la pratique de leur métier, qui est un jeu à la base : « Il y a quand même du plaisir [à jouer au football]… C’est avec ça qu’on essaie un peu d’oublier tout ce qui s’est passé. »

Aux yeux d’Emilie Thienot, cette situation n’a rien de surprenant : « Les sportifs de haut niveau peuvent perdre le sens de ce qu’ils font. Ils n’ont plus le même engagement ou la même motivation. C’est une phase qui peut se rapprocher de la dépression, mais qui n’arrive pas toujours tout de suite après le choc, explique-t-elle. Certains se remettent assez vite dans l’action, ça aide à surmonter certaines émotions. Ou du moins ça donne l’impression de les surmonter. »

C’est l’un des risques avec un athlète de haut niveau : parce que les enjeux sportifs et financiers sont énormes et qu’il est bien rémunéré, il aurait une obligation de continuer à être performant. Mais, comme le rappelle Emilie Thienot, un sportif de haut niveau « est d’abord un être humain, et si on n’aide pas son cerveau à traiter ce choc, cela peut avoir un impact à moyen-long terme ».

« Je n’ai jamais utilisé de cellule psychologique. Si on juge qu’il y en a besoin, on pourra la mettre en place », avait très vite proposé, après le drame, Vahid Halilhodzic. La direction du club avait appuyé la démarche. Nicolas Pallois, très proche de Sala et qui avait accompagné ce dernier le 21 janvier à l’aéroport, l’a refusée. Ses coéquipiers ne se sont pas non plus précipités.

Approche collective

Pourtant, poser des mots sur un drame est une étape indispensable dans le processus de deuil : « Ce serait une erreur de dire que, parce qu’il est sportif de haut niveau, ça ne sert à rien de l’accompagner car il est déjà fort mentalement. Certains vont avoir une forme de résilience qui leur permet d’avancer assez vite dans le processus de deuil, alors que d’autres vont avoir plus de difficultés », explique Emilie Thienot.

Si de nombreux drames ont frappé le monde du sport ces dernières années, il est difficile d’établir des parallèles sur les séquelles psychologiques. Une chose est sûre, les sportifs sont en règle générale assez réticents « à se confier et s’ils peuvent le faire avec une compagne ou un proche, ils ont plus de mal à aller voir un spécialiste ».

Un tabou en partie brisé par l’ancien nageur Yannick Agnel, retraité des bassins, qui a expliqué dans un entretien à L’Equipe paru en février qu’il avait consulté une psychologue pour l’aider à « intégrer » le décès son amie Camille Muffat survenu à la suite d’un accident d’hélicoptère en mars 2015 : « Ça m’a beaucoup aidé parce que ça a été un cheminement compliqué. C’est des trucs que j’ai enfouis, qui ont ressurgi quelques mois après l’accident (…). Tu ne te poses pas directement ces questions parce que tu es juste triste, tout simplement. Tu essaies de le contenir parce qu’il y a des échéances. »

L’approche collective du processus de deuil peut avoir un effet bénéfique. A Nantes, « j’ai vu une belle solidarité » après le drame, témoigne à ce propos Abdoulaye Touré. Nul doute que les joueurs auront à cœur de clore cette triste saison par la conquête d’un trophée. En hommage à leur coéquipier Emiliano Sala. Un succès qui permettrait de panser les plaies. A défaut de totalement les refermer.