L’avis du « Monde » – pourquoi pas

Après Le Nom des gens (2010) et Télé Gaucho (2012), Michel Leclerc poursuit dans la veine de la comédie populaire et politique avec un titre programmatique à double sens : La Lutte des classes. Sofia (Leïla Bekhti) et Paul (Edouard Baer) sont en couple, elle est une brillante avocate d’origine maghrébine, lui le batteur d’un groupe de punk-rock dont l’heure de gloire semble être un lointain souvenir. Chacun a un enfant issu d’une précédente union et la petite famille recomposée décide d’emménager en banlieue parisienne, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), où elle participe activement à la vie de quartier où Sofia a passé son enfance.

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Très vite, les amis de Sofia et Paul retirent leurs enfants de Jean-Jaurès, l’école publique du quartier, pour lui préférer la quiétude élitiste de l’école privée. Leur fils Corentin, scolarisé à « Jean-Jau’», fait quant à lui l’objet de menaces et d’un prosélytisme religieux de la part de ses camarades de classe. Le couple de Bagnolet voit son idéal républicain s’effriter au contact de la réalité et est vite renvoyé à ses éternelles contradictions de « bobos de gauche ». Impuissants, ils voient se creuser le fossé entre leurs convictions politiques et leurs intérêts personnels (vouloir le meilleur pour leur fils). La suite pourrait se résumer à un adage : fuyez le naturel (l’éthos bourgeois) et il revient au galop.

Un prisme sociologique épuisant

On devine les mille et un ressorts comiques qui naissent d’une telle situation, et Leclerc a le mérite de s’atteler à la comédie sociologique sans avoir froid aux yeux, tant pour parler de l’hypocrisie d’une certaine bourgeoisie de gauche que de ses craintes parfois justifiées. Mais le problème de La Lutte des classes tient précisément à ses ambitions de départ : le film n’envisage pas autrement ses personnages, ses situations et ses péripéties que par le prisme du sociologique qui devient vite insuffisant, et finalement, épuisant. Lorsqu’un personnage parle, c’est son milieu qui s’exprime. Leclerc semble croire que l’individualité est une fiction, pourquoi pas, mais on lui rétorquera que la sociologie n’est pas tout, surtout au cinéma.

Car ce biais sociologique donne lieu à toute une série de poncifs à la fois dans la manière dont Leclerc filme son couple que dans la façon dont il fait état d’une société française de plus en plus clivée. Le jeune Corentin se retrouve vite à être le seul Blanc de sa classe, tandis qu’en face, les enfants noirs et arabes sont filmés comme un groupe aussi soudé qu’inquiétant. Même chose lorsqu’il s’agit de filmer un dîner où Sofia et Paul invitent un couple de musulmans pratiquants : Sofia se retrouve prise à partie parce qu’elle travaille au lieu de rester à la maison.

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Nul doute pourtant que La Lutte des classes traite de sujets graves, passionnants et néanmoins potentiellement comiques mais, faute de prendre le temps de la subtilité, le film ne se montre pas à la hauteur des enjeux qu’il soulève. Les partitions modérées de Bekhti et Baer n’y changeront rien, La Lutte des classes a une manière bien douteuse de se mettre son public dans la poche : au lieu de discuter et de disséquer le cliché, il préfère le perpétuer. L’invraisemblable happy end finit de réconcilier tout le monde et d’aplanir ce qu’il restait d’aspérités.

La Lutte des Classes - Bande-Annonce Officielle - UGC Distribution
Durée : 01:46

Film français de Michel Leclerc. Avec Leïla Bekhti, Edouard Baer, Ramzy Bedia (1 h 43). Sur le Web : www.facebook.com/ugc.distribution et ugcdistribution.fr/film/la-lutte-des-classes