Sylvie Uhirwa, cofondatrice de l’application Tantine, le 1er février 2019 à Kigali. / Pierre Lepidi

Dans la culture rwandaise, ce sont bien souvent les tantes qui éduquent les jeunes filles à la sexualité. « Ce sont des femmes qui ont de l’expérience et c’est plus facile d’aborder avec elles des questions intimes, plutôt qu’avec sa mère ou sa sœur, explique Sylvie Uhirwa, étudiante en médecine à l’université de Kigali. Ces tantes affectueuses et bienveillantes, toujours prêtes à écouter nos confidences, sont surnommées tantines. Elles répondent aux questions que l’on se pose sur le sexe et en particulier sur la reproduction. »

Depuis l’été 2017, les Rwandaises peuvent aussi utiliser une application justement baptisée Tantine. Elles y lisent en kinyarwanda, la langue communément parlée dans le pays, des informations sur la sexualité, les maladies vénériennes, les cycles de menstruations, mais également des conseils pour « réussir sa première fois ». Les jeunes peuvent aussi jouer en famille à des jeux sous forme d’énigmes, participer à des forums de discussion sur la grossesse, l’éducation ou écrire des messages privés aux administrateurs.

Disponible sur smartphones et tablettes

« L’idée de créer cette application m’est venue lors de la visite du camp de réfugiés de Mahama, se souvient Sylvie Uhirwa, cofondatrice de l’application Tantine avec son frère jumeau Sylvain, également étudiant en médecine. J’ai été impressionnée par le nombre de jeunes femmes qui avait des enfants. Certaines étaient si jeunes qu’on avait du mal à croire qu’elles pouvaient déjà être des mères. La plupart m’ont assuré qu’elles n’avaient jamais eu d’éducation sexuelle. »

Ouvert en 2015 au sud-est du Rwanda, le camp de Mahama accueille près de 43 000 réfugiés en majorité burundais, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). En août 2018, d’après l’ONG Plan International, certaines adolescentes de ce camp auraient été victimes d’abus sexuels, de viols et d’esclavage sexuel. Mahama, qui s’étire sur une centaine d’hectares, est composé à près de 60 % d’enfants, dont les parents ou les proches ont fui le régime dictatorial du président burundais, Pierre Nkurunziza.

En 2016, Sylvie Uhirwa, qui étudie la médecine depuis six ans et a toujours rêvé de « soigner les gens », crée une page Facebook pour rester en contact avec les jeunes filles réfugiées de Mahama. Afin de répondre à leurs questions, elle a ensuite développé le site Tantine.rw qui leur propose des articles actualisés et différentes rubriques de conseils. Mais l’accès à Internet depuis l’intérieur du camp étant aléatoire, Sylvie Uhirwa et son frère ont décidé de se tourner en février 2017 vers un programme disponible sur smartphones et tablettes.

Une application entièrement gratuite

« Il fallait proposer un espace convivial, facilement accessible, avec des messageries privées afin que les jeunes puissent venir se confier et osent poser leurs questions, explique Sylvie Uhirwa. Car il n’y a rien de plus intime que la sexualité. » La jeune femme réalise aussi que le problème des grossesses précoces ne touche pas que les jeunes réfugiées puisque, au Rwanda, chaque année, 16 500 filles abandonnent leur scolarité pour mettre au monde un enfant.

Présentée lors d’un concours organisé par la Fondation Imbuto, soutenue par la femme du président rwandais Paul Kagame, et le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), Tantine arrive en finale et décroche une bourse de 10 000 dollars (près de 9 000 euros) nécessaire à son développement. « Nous avons lancé une campagne médiatique en nous déplaçant dans plusieurs régions du Rwanda, explique Sylvie Uhirwa. Nous avons également fait quelques passages à la télévision. »

Tantine, qui est une application entièrement gratuite, revendique aujourd’hui 4 000 utilisateurs. « Il faut continuer à développer le programme, mais c’est vrai qu’en menant en parallèle les études, ce n’est pas toujours évident de trouver du temps, explique Sylvie Uhirwa, qui achève sa dernière année de médecine à l’université de Kigali. Le but de Tantine n’est pas de gagner de l’argent, mais d’aider, d’éduquer, de conseiller la population sur des questions de sexualité, et en priorité les jeunes filles. J’ai eu la chance de faire des études et d’acquérir un savoir. Je veux maintenant en faire profiter ma communauté. »

Sommaire de la série « Carnet de santé »

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