C’était la réponse sécuritaire du gouvernement aux débordements et violences qui ont eu lieu cet hiver lors de certaines manifestations de « gilets jaunes », en particulier à Paris, Bordeaux et Toulouse. La proposition de loi dite « anticasseurs », votée le 12 mars par le Parlement, a été partiellement censurée par le Conseil constitutionnel, jeudi 4 avril.

C’est l’article 3, le plus décrié de ce texte issu de l’opposition sénatoriale de droite auquel la majorité s’est ralliée, qui est censuré par les gardiens de la Constitution. Ils estiment qu’il porte atteinte au « droit d’expression collective des idées et des opinions ». Par cette disposition, le législateur permettait à l’autorité administrative, en l’occurrence les préfets, de prononcer des interdictions de manifester sur tout le territoire national pendant un mois à l’encontre d’individus représentant « une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public », sous peine de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende en cas d’infraction.

Alors que de nombreuses voix s’étaient élevées contre cette disposition jugée liberticide, y compris jusque dans les rangs des députés de la majorité La République en marche (LRM), le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, et le gouvernement l’avaient maintenu au nom du maintien de l’ordre. C’est donc un camouflet que leur inflige l’institution présidée par Laurent Fabius.

Un article trop flou

Pour juger cet article 3 contraire à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 sur la liberté d’expression, le collège constitutionnel estime que les conditions permettant de justifier une interdiction de manifester sont beaucoup trop floues. L’article en question prévoit que l’interdiction peut résulter soit d’un « acte violent », soit d’« agissements » commis à l’occasion de manifestations au cours desquelles ont eu lieu des atteintes graves à l’intégrité physique des personnes ou des dommages importants aux biens.

« Ainsi, le législateur n’a pas imposé que le comportement en cause présente nécessairement un lien avec les atteintes graves à l’intégrité physique ou les dommages importants aux biens ayant eu lieu à l’occasion de cette manifestation », lit-on dans la décision. Finalement, « les dispositions contestées laissent à l’autorité administrative une latitude excessive dans l’appréciation des motifs susceptibles de justifier l’interdiction. »

La censure du Conseil constitutionnel vient donner raison aux craintes exprimées par la gauche, une partie des centristes, mais surtout une partie des députés de la majorité. Le risque d’inconstitutionnalité de l’article 3 avait été au cœur des arguments des cinquante députés macronistes qui s’étaient abstenus sur ce texte. La décision de l’institution de la rue Montpensier vient donc donner raison à cette aile gauche qui n’avait jamais été aussi nombreuse à s’opposer aussi ouvertement à une mesure défendue par le gouvernement.

Leurs collègues qui avaient voté le texte attendaient d’ailleurs fébrilement la décision du Conseil jeudi. Certains s’attendant davantage à une censure de l’article 6, sur la dissimulation de visage, que sur cet article 3 qu’ils avaient, par certains aspects, adouci par rapport à la version des sénateurs, mais par d’autres durci. Les députés LRM avaient notamment ajouté la disposition permettant au juge administratif de prononcer une interdiction de manifester sur l’ensemble du territoire et pour une durée d’un mois. Lors de la deuxième lecture, les sénateurs avaient voté « conforme » le texte, c’est-à-dire sans le modifier, tout en émettant de grandes réserves sur la constitutionnalité de cette dernière mesure.

Trois autres articles validés

En revanche, le Conseil constitutionnel a donné son feu vert aux trois autres articles qui étaient contestés :

  • l’article 2 permettant à la police judiciaire de procéder à des fouilles de bagages et de voitures en amont d’une manifestation est validé ;
  • l’article 6, qui punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait de se dissimuler, même partiellement, le visage lors d’une manifestation réussit son examen de passage constitutionnel ;
  • l’article 8, qui introduisait dans le panel des mesures qu’un juge peut imposer à une personne placée sous contrôle judiciaire l’obligation de ne pas participer à des manifestations sur la voie publique, a été jugé suffisamment bien encadré pour ne pas violer le principe constitutionnel par les « sages ».

Ce texte de loi avait fait l’objet de trois saisines du Conseil constitutionnel par le président de la République, soixante députés et soixante sénateurs. Expurgée de son article 3, la loi devrait être promulguée dans les prochains jours.