Un ouvrier sur le site de la société Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle), en avril 2016. / SÉBASTIEN BOZON / AFP

La vente à une entreprise étrangère d’un fleuron industriel prend toujours, en France, un tour particulier où se mêlent orgueil national blessé, inquiétude pour l’emploi et nostalgie d’un âge d’or révolu. Il y a bien sûr plus glamour que les canalisations d’eau et de gaz en fonte ductile de la société Pont-à-Mousson (PAM), en Meurthe-et-Moselle. Mais cette activité fait partie de l’« ADN » de la région et la perspective d’une vente au chinois Xinxing Ductile Iron Pipes de cette filiale de Saint-Gobain suscite des craintes dans le berceau d’une industrie née au milieu du XIXe siècle avec la découverte des premiers gisements de fer.

Le gouvernement n’est pas hostile à cette opération. « Je ne veux pas a priori dire non à un investissement chinois […] avant même d’avoir rencontré le président de Saint-Gobain, a prévenu le ministre de l’économie et des finances, jeudi 4 avril, sur BFMTV. Parce que derrière, je n’oublie pas qu’il y a des emplois. » Bruno Le Maire a précisé que ses services analysent la situation pour savoir s’il s’agit d’une technologie « sensible » et qu’il va rencontrer le PDG de Saint-Gobain, Pierre-André de Chalendar, « dans quelques jours ».

Activité « sensible »

La direction du groupe se veut rassurante sur la cession de PAM, qui détient 50 % du marché européen mais connaît des difficultés depuis plusieurs années. Elle confirme qu’elle a bien lancé « une réflexion sur la recherche de partenaires potentiels, qui pourraient offrir de nouveaux débouchés commerciaux et élargir notre gamme de produits et de technologies », mais qu’elle n’en est qu’« au tout début de cette réflexion ». Et elle dément qu’un partenaire ait été retenu à ce stade.

Ces déclarations n’ont convaincu ni les salariés, ni les représentants du personnel ni les élus lorrains, tous inquiets de la pérennité d’une activité employant 2 200 salariés dans la région Grand Est, notamment sur la ville de Pont-à-Mousson. « Il apparaît aujourd’hui que le partenaire sollicité est le numéro 1 mondial, l’entreprise publique chinoise Xinxing », indique la CFE-CGC (cadres), qui a révélé le choix de ce partenaire prêt, selon le syndicat, à prendre 60 % du capital.

Or Xinxing, en situation de surproduction sur le marché chinois, risque de faire de l’Europe un nouveau débouché aux tuyaux de ses usines chinoises

Or cette société, en situation de surproduction sur le marché chinois, risque de faire de l’Europe un nouveau débouché aux tuyaux de ses usines chinoises, au détriment des productions de Lorraine, estime la confédération des cadres. De plus, l’acheminement de l’eau potable (et du gaz) est, selon elle, une activité éligible au contrôle des investissements stratégiques relevant d’une autorisation du ministère de l’économie. Même si l’Etat n’est pas présent au capital de Saint-Gobain.

Le code financier et monétaire de la France soumet, en effet, à autorisation préalable les investissements des pays hors Union européenne quand ils conduisent à la prise de contrôle d’une activité « sensible ». Ainsi, « l’intégrité, la sécurité et la continuité de l’approvisionnement en eau » doivent-elles s’opérer « dans le respect des normes édictées dans l’intérêt de la santé publique ». En outre, PAM détient quelque 1 500 brevets.

Un fournisseur de l’armée chinoise

La direction générale des entreprises (DGE) a écrit à M. Le Maire, le 19 mars, pour l’alerter sur la « sensibilité » de ces équipements et le risque de voir la France tomber dans « un état de dépendance », en rappelant, par ailleurs, que la société Xinxing est un important fournisseur de l’armée chinoise.

Pour les élus lorrains, l’enjeu porte aussi sur le maintien d’activités industrielles et de technologies en France et en Europe. Il est crucial à l’heure où les « nouvelles routes de la soie », lancée en 2013 par le président Xi Jinping, favorisent l’importation de produits de l’empire du Milieu. « Est-ce que l’Europe a la volonté d’affirmer une souveraineté technologique dans le domaine de l’eau potable ? », s’interroge Dominique Potier, député (PS) de Meurthe-et-Moselle, dans un entretien à Reuters.

Les dirigeants de Saint-Gobain démentent vouloir se débarrasser purement et simplement de cette activité. Elle avait été rachetée en 1970, donnant une taille mondiale au groupe. Depuis 2017, rappellent-ils, le « projet Avenir » concernant les sites lorrains s’est traduit par le rapatriement d’une unité de production depuis Brebach (Allemagne) vers Pont-à-Mousson, avec 80 embauches à la clé, et un investissement de 130 millions pour moderniser le site.

PAM n’en reste pas moins une source de pertes importantes. Les résultats 2018 de Saint-Gobain ont été plombés par 2 milliards d’euros de dépréciations d’actifs, dont une part est imputable à sa filiale lorraine. Sur un marché mondial dont elle ne détient que 10 %, elle est sévèrement concurrencée par des produits à bas coûts provenant de Chine et d’Inde, mais aussi de canalisations fabriquées aux Etats-Unis et aux Japon.