Le premier ministre macédonien Zoran Zaev et son homologue grec Alexis Tsipras, le 2 avril à Skopje. / ROBERT ATANASOVSKI / AFP

La date est historique : il aura fallu attendre près de trente ans pour qu’un chef de gouvernement grec foule le sol de son voisin, l’ex-république yougoslave de Macédoine, indépendante depuis 1991. A l’origine de la discorde entre les deux voisins, l’appellation « Macédoine », dont Athènes revendiquait l’usage exclusif pour la province du nord de son territoire. Une brouille identitaire et politique résolue par l’accord de Prespa, du nom du lac frontalier entre les deux pays, signé en juin 2018 et ratifié dans les deux capitales au terme d’un processus douloureux. L’ajout de la mention géographique « du Nord » au nom du pays a permis la levée du veto grec à l’adhésion de la Macédoine du Nord à l’OTAN et à son rapprochement avec l’Union européenne. Une réconciliation qui vaut aux premiers ministres Alexis Tsipras et à Zoran Zaev d’être nommés pour le prix Nobel de la paix. Georges Prévélakis, professeur émérite de géopolitique à la Sorbonne (Paris-I), décrypte la rencontre symbolique intervenue le 2 avril entre les deux chefs de gouvernement.

Alexis Tsipras est le premier chef du gouvernement grec à se rendre à Skopje en trente ans. Sa venue va t-elle modifier les relations entre la Grèce et la Macédoine du Nord ?

Georges Prévélakis : La visite d’Alexis Tsipras en Macédoine du Nord a une dimension importante avant tout du point de vue de la défense. Athènes espère jouer un rôle dans le processus d’intégration de la Macédoine du Nord à l’OTAN, débuté en février. Le but de l’opération est de mettre la défense macédonienne sous tutelle grecque afin de renforcer la position d’Athènes au sein de l’organisation et d’élargir l’espace défensif grec dans les Balkans, région où la présence turque est également forte. Athènes joue un rôle important, mais ne monopolise pas pour autant le dossier. La Bulgarie est également impliquée dans l’adhésion de Skopje à l’OTAN.

L’accord de défense signé le 2 avril entre MM. Tsipras et Zaev autorise d’ailleurs le survol des avions grecs du territoire macédonien. Quels sont les avantages pour Skopje ?

« La Grèce est maintenant le pays avec lequel la Macédoine du Nord a le plus d’affinité »

La Macédoine du Nord cherche à s’appuyer sur la Grèce, un pays qui reste puissant dans la région malgré la crise économique. Le seul problème entre Skopje et Athènes était celui du nom ; la Grèce est maintenant le pays avec lequel la Macédoine du Nord a le plus d’affinités. Il ne faut pas oublier que des différends subsistent entre la Macédoine du Nord et ses voisins, comme l’Albanie, la Bulgarie ou la Serbie.

Alexis Tsipras, accompagné d’une dizaine de ministres, a insisté sur l’importance des échanges entre les deux pays, notamment lors du forum économique organisé en parallèle de la visite officielle. Les relations vont-elles se transformer dans ce domaine ?

Cette visite n’est pas très importante du point de vue de la collaboration économique. La guerre diplomatique donnait l’idée d’une forme d’hostilité entre les deux Etats, mais la frontière était ouverte, et le conflit n’a jamais empêché les échanges. Pour Tsipras, il s’agissait aussi d’une opération politique. Le premier ministre est affaibli à l’intérieur de son pays et il tente de redorer son blason.

Quel est l’intérêt pour les deux pays de développer les échanges et les projets d’infrastructure ?

L’axe Thessalonique-Skopje-Belgrade est extrêmement important. D’abord parce qu’il s’agit de la connexion la plus simple entre la Méditerranée orientale et l’Europe centrale, et qu’elle est promise à un grand avenir. Ensuite, l’enjeu pour la Grèce est de trouver un équilibre entre l’Europe et la Chine, qui a racheté le port du Pirée et a possède des intérêts dans toute la région.