Les Algériens fêtent la démission du président Abdelaziz Bouteflika mardi 2 avril, à Alger. / Anis Belghoul / AP

La démission d’Abdelaziz Bouteflika, arrachée dans la semaine, a un goût d’inachevé pour les Algériens, qui entendent manifester à nouveau en masse pour un septième vendredi de suite, ce 5 avril. Ils entendent chasser le « système » du pouvoir et empêcher les anciens fidèles du président déchu de gérer la transition.

Sur les réseaux sociaux, depuis le départ du président Bouteflika, le néologisme « vendredire », inventé par les contestataires et signifiant « manifester joyeusement », a acquis un sens supplémentaire : « faire chuter un régime dictatorial pacifiquement ». Les appels à « vendredire » n’y ont donc pas cessé, avec un nouveau mot d’ordre, chasser les « 3B » : Abdelkader Bensalah, Tayeb Belaiz et Noureddine Bedoui, trois hommes-clés de l’appareil mis en place par Bouteflika et à qui la Constitution confie les rênes du processus d’intérim. Tous trois ont toujours servi fidèlement M. Bouteflika, rappellent leurs détracteurs.

Président depuis plus de seize ans du Conseil de la nation (chambre haute) par la grâce de M. Bouteflika, Abdelkader Bensalah est chargé de le remplacer pour trois mois à la tête de l’Etat, le temps d’organiser une présidentielle. Tayeb Belaiz, qui fut seize ans ministre, quasiment sans interruption, préside – pour la deuxième fois de sa carrière – le Conseil constitutionnel, chargé de contrôler la régularité du scrutin. Enfin, le premier ministre Noureddine Bedoui était jusqu’à sa nomination le 11 mars le très zélé ministre de l’intérieur, « ingénieur en chef de la fraude électorale et ennemi des libertés », comme l’a qualifié le quotidien francophone El Watan jeudi.

Une victoire « partielle »

« Notre victoire est partielle. Les Algériennes et les Algériens n’accepteront pas que des symboles du régime tels qu’Abdelkader Bensalah (…) ou le premier ministre conduisent la période d’intérim et organisent les prochaines élections », a souligné dans une vidéo postée en ligne l’avocat Mustapha Bouchachi, l’une des voix de la contestation.

« Ces symboles du régime ne peuvent pas être une partie de la solution, et nous avons réclamé depuis le 22 février que tout le système, ses symboles et ses clientèles, partent. La démission du président ne signifie pas qu’on a eu réellement gain de cause », a-t-il poursuivi. Me Bouchachi a appelé les Algériens à « continuer » de manifester « jusqu’à leur départ à tous » ajoutant que « vendredi doit être un grand jour ».

Jeudi, les bureaux des deux chambres du Parlement se sont réunis pour organiser la session parlementaire prévue par la Constitution dans le cadre de la mise en place de l’intérim. Mais aucune date n’était toujours fixée, plus de quarante-huit heures après la démission du chef de l’Etat. « S’en tenir à la Constitution » et confier l’intérim et l’organisation des élections à des hommes incarnant le système déchu « va probablement susciter pas mal de protestations, les contestataires doutant que les élections soient équitables (…) et libres », estime Isabelle Werenfels, chercheuse associée à l’Institut allemand pour les affaires internationales et de sécurité.

« Phase la plus délicate »

Les contestataires réclament à la place la mise sur pied d’institutions de transition, à même de réformer le pays et d’organiser notamment un cadre juridique garantissant des élections libres. Conscient, le gouvernement donne des gages. Il a notamment enjoint aux citoyens de créer des partis et des associations, les invitant même à prendre rendez-vous par téléphone au ministère de l’intérieur, quand ces mêmes partis et associations peinaient auparavant à obtenir les agréments indispensables. « L’après Bouteflika n’est pas clair. La rue et les partis » d’opposition « appellent à une nouvelle Constitution, une nouvelle loi électorale », souligne Hamza Meddeb, chercheur sur le Moyen-Orient à l’Institut universitaire européen de Florence. L’Algérie entre dans « la phase la plus délicate, car la rue et les institutions risquent de se diviser », estime-t-il.

Grand vainqueur de son bras de fer avec l’entourage de Bouteflika, qu’il a contraint in fine à quitter le pouvoir, le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée, apparaît comme l’homme fort du pays actuellement. Mais, souligne Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève, « la rue algérienne est devenue le nouvel acteur dans la vie politique algérienne » et « on ne connaît pas grand-chose des intentions de l’armée concernant la gestion de l’après Bouteflika ». D’autant que le général Gaïd Salah est lui aussi largement perçu par les manifestants comme un homme du « système » Bouteflika, qu’il a fidèlement servi depuis sa nomination par le président à la tête de l’armée en 2004, avant de le lâcher ces derniers jours.

Que retenir des vingt ans de règne d’Abdelaziz Bouteflika ?
Durée : 05:06

Notre sélection d’articles pour comprendre la contestation en Algérie

La démission du président algérien Abdelaziz Bouteflika, le 2 avril, est une humiliante capitulation face à une population en révolte depuis la fin février. Le mouvement de protestation le plus important des deux dernières décennies en Algérie a poussé des dizaines de milliers de personnes dans les rues pour exprimer leur opposition à un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika.

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