Niki Terpstra défendra son titre sur les routes du Tour des Flandres sous les couleurs de Direct Energie. / DAVID STOCKMAN / AFP

Si le calvinisme a laissé aux Pays-Bas « le goût de l’individualisme et de la transparence », alors Niki Terpstra fait une bonne incarnation en lycra de l’ancien pasteur. Sera-t-il, lui aussi, pleuré par la foule à sa mort ? Côté cyclistes, on ne sait pas : dans le peloton, le Néerlandais est avare de ses efforts et de formules de courtoisie. Son credo : « Si je veux me faire des amis, je vais au bar. »

« En course, ce peut être un vrai connard, et souvent il l’est », dit Ramon Sinkeldam, son compatriote qui évolue au sein de l’équipe française Groupama-FDJ. Cela ne se voit pas comme ça, mais Sinkeldam est un ami. Les deux ont grandi dans le même coin du nord des Pays-Bas, au-dessus d’Amsterdam.

Terpstra : « Là-bas, c’est complètement plat. Avec mon club de vélo, on roulait sur un circuit fermé d’un kilomètre, deux fois par semaine. » Ce qui ressemble à une certaine vision de l’Enfer, mais Terpstra a continué de rouler.

« Si vous n’êtes pas dans son équipe, vous avez tendance à le regarder de travers. »

A bientôt 35 ans, il affiche un palmarès flatteur sur les classiques du Nord – Tour des Flandres 2018, Paris-Roubaix 2014, entre autres –, le plus beau parmi les coureurs en activité avec Peter Sagan. Sur l’échelle de popularité au sein du peloton, l’un est tout en haut et l’autre est resté au pied, ce qui lui convient.

Stijn Vandenbergh, son ancien partenaire au sein de l’équipe belge Quick-Step, désormais coureur de la formation française AG2R : « La plupart des coureurs ne l’apprécient pas, parce qu’il est dangereux dans sa façon d’évoluer dans le peloton. Si vous n’êtes pas dans son équipe, vous avez tendance à le regarder de travers. »

« En course, bien sûr, tu ne peux pas l’aimer, et il a cette réputation de n’être pas sympa, ajoute Sinkeldam. Mais c’est parce qu’il n’a qu’une idée en tête : gagner. Dans sa tête, c’est un tueur. Et ça, tu l’as ou tu ne l’as pas, c’est inné. A côté, c’est un super mec, toujours prêt à aider. Et un bon équipier, qui sait saisir sa chance et se montrer égoïste quand il le faut. »

Flair

Niki Terpstra, que l’on rencontre dans un hôtel de Courtrai, se moque pas mal de sa réputation. Il avance sur un fil : « C’est un drôle d’équilibre, mais bien sûr que le cyclisme est un sport individuel avant tout. Si on sent que l’on n’est pas le mieux placé de l’équipe pour gagner, on doit tout donner pour l’autre. Si on est deux à pouvoir le faire, je préfère que ce soit moi que l’autre, mais on peut s’aider. La tactique, c’est ce qui fait l’intérêt du cyclisme. »

Terpstra gagne peu mais gagne beau, souvent à l’issue d’une longue échappée solitaire qui rend grâce à ses capacités de rouleur longue distance. Chez Quick-Step, il usait avec un flair incomparable de la supériorité de son équipe.

L’automne dernier, à l’issue de la meilleure saison de sa carrière, Terpstra a encore eu du nez : Patrick Lefevere, patron de l’équipe belge, ne pouvait plus le payer à la hauteur de son talent. Alors il a gratté un beau contrat chez les Français de Direct Energie.

Ses résultats, depuis le début de cette saison, sont un cran en dessous, parce qu’il a un an de plus et l’avantage du nombre en moins. Mais les Flamands, pas fous, ne l’enterrent pas avant le Tour des Flandres, dimanche 7 avril, et Paris-Roubaix, une semaine plus tard.

Snobé par les Néerlandais de la Rabobank et passé professionnel dans une équipe allemande, Terpstra s’est épanoui chez les Belges de Quick-Step et termine chez les Français de Direct Energie, avec qui le dialogue se résume au strict minimum : jeune adolescent, Terpstra a rangé ses livres de français, pensant qu’il n’en aurait jamais besoin puisque l’idée n’était pas de devenir coureur professionnel.

Ni même d’être cycliste : son père, garagiste, est plutôt voitures. « A huit ans, dans mon coin, c’était assez étrange de se mettre au vélo, admet Terpstra. Le cyclisme est un moyen de déplacement aux Pays-Bas, rarement un sport. Et ça se limite au Tour de France. »

Depuis 20 ans, seuls trois Néerlandais (Servais Knaven, Wout Poels et Terpstra) ont remporté l’un des cinq monuments, les grandes courses d’un jour du calendrier cycliste. Et tous sont passés chez les Flamands de Quick-Step.

De quoi réveiller l’amour-propre de la province belge, flattée que, après chaque victoire, Terpstra descende goulûment la pinte de bière offerte par le sponsor de la course et résume sa journée à la télévision en adaptant une chanson populaire flamande.

Niki Terpstra finit rarement sa bière en dernier. / DAVID STOCKMAN / AFP

 

« Au début, les Belges m’ont pris pour une grande gueule. Il y a des différences culturelles entre nous : les Néerlandais sont francs et si je n’aime pas quelque chose, je le dis en face. »

C’est un travail de reconquête, tant, chez le voisin, Terpstra a longtemps été incompris. Parce qu’il gagnait parfois aux dépens de ses propres coéquipiers belges, mais pas seulement, explique-t-il : « Au début, les Belges m’ont pris pour une grande gueule. Il y a des différences culturelles entre nous : les Néerlandais sont francs et si je n’aime pas quelque chose, je le dis en face. Les Belges font davantage de circonvolutions. » C’est la transparence héritée de Calvin.

Patrick Lefevere, qui a passé l’âge de ne pas dire ce qu’il pense, s’est rapidement retrouvé dans ce coureur « qui sait ce qu’il veut et a du caractère, un truc typique du nord des Pays-Bas ». Terpstra est arrivé chez lui à 26 ans, « bon coureur mais sans plus ». Il a rapidement compris que s’il voulait avoir un jour sa chance, il lui fallait devenir le copain de Tom Boonen, icône locale qui admit un jour qu’il avait souvent eu envie de l’étrangler en tant qu’adversaire, puis qu’il était devenu l’un de ses meilleurs amis.

« Si tu respectes tes coéquipiers, ils te le rendent », dit Terpstra, qui a fait son trou chez Quick-Step en rendant service et en imposant sa techno - tendance hardstyle - dans le car de l’équipe.

Transparence encore : « Les cyclistes peuvent rapidement se sentir seuls. C’est un sport d’autodiscipline, et c’est ce que j’aime. Tu gères ta vie. Elle n’est pas toujours rose, c’est parfois dur, il y a le temps perdu dans les aéroports, l’entraînement sous la pluie. Je ne vois pas mes deux enfants - neuf et cinq ans - la moitié de l’année, je rate l’anniversaire de ma femme tous les ans ou presque. »

Que fait-elle ? « Elle s’occupe du foyer, ce qui me permet d’être professionnel à 100 %. Cela peut sembler égoïste, mais c’est mon métier qui veut ça. »