Les particuliers peuvent s’équiper de caméras pour se protéger des cambriolages. / Marco Jeurissen/Ikon Images / Photononstop

En cas de conflit de voisinage, l’installation d’un dispositif de vidéosurveillance peut être utile, comme le montre l’affaire suivante : Régis et Patricia X, qui se méfient de leur voisin Jean-Marie Z, font installer une caméra sur le mur de leur maison. Au petit matin du vendredi 18 décembre 2015, l’appareil filme Jean-Marie en train de saboter leur portail électronique.

Les X portent plainte, et fournissent des images du délit. Le 11 février 2016, M. Z, qui reconnaît sa culpabilité, fait l’objet d’un rappel à la loi. Régis et Patricia l’assignent ensuite devant le tribunal de grande instance de Douai, et obtiennent qu’il soit condamné à les indemniser de leurs préjudices, matériel et moral.

Respect de la vie privée

Jean-Marie fait appel. Il demande que leur système de vidéosurveillance soit démonté, au motif qu’il filmerait l’entrée de son propre domicile, ce qui porterait atteinte au respect de sa vie privée, garanti par l’article 9 du code civil. La cour d’appel de Douai le déboute, le 7 février (2019), après avoir constaté que leur caméra ne filme que leur propre cour, ainsi que leur portail, mais ni la voie publique ni l’entrée du voisin.

Les particuliers peuvent, en effet, s’équiper de caméras pour se protéger des cambriolages, mais ils ne doivent pas les orienter sur la propriété des voisins, faute de quoi ils peuvent être condamnés à payer des dommages et intérêts à ces derniers. C’est ce que rappelle l’exemple suivant : Eliane L., personne particulièrement acariâtre et procédurière, cherche toutes sortes de noises à ses voisins, les D., qui sont en outre victimes du harcèlement de son fils, Jonathan, et de ses insultes à caractère raciste. En représailles, les D. perchent une caméra sur un arbre de leur jardin, et la braquent sur la maison de Jonathan et de sa mère.

Dommages et intérêts

Mme L. les assigne aussitôt en référé. Elle obtient qu’ils soient condamnés à retirer la caméra, bien qu’ils aient expliqué au juge qu’il s’agit seulement d’un « leurre, destiné à impressionner ». Mme L. leur réclame ensuite 5 000 euros, pour « atteinte à l’intimité de sa vie privée ». Les magistrats la déboutent, « compte tenu du contexte » : « La demande de dommages et intérêts résultant du dommage causé par la pose de la caméra se révèle infondée, sauf à ignorer les provocations antérieures dont faisaient l’objet les intimés », juge la cour d’appel d’Aix-en-Provence, le 19 juin 2014.

Mme L. se pourvoit en cassation, et son avocat explique que « le fait qu’une personne soit responsable du climat détestable qui s’est instauré entre des voisins ne peut légitimer que l’un de ceux-ci installe, sur son fonds, une caméra permettant de filmer la propriété de cette personne ». La Cour de cassation lui donne raison, le 24 mars 2016 : « En statuant ainsi, la cour d’appel a violé l’article 9 du code civil », juge-t-elle, en exerçant sa censure.

L’affaire est rejugée, le 18 janvier 2018, et les D. sont condamnés à verser 500 euros à leur voisine. « L’installation d’une caméra, même hors d’usage, doit être regardée comme une atteinte à l’intimité de la vie privée ouvrant droit à réparation », indique la cour d’appel d’Aix-en-Provence. « La cour considère que le seul fait d’installer un dispositif ressemblant à une caméra, dont l’angle de vision se trouve dans l’axe du voisin, est constitutif d’un trouble de voisinage », commente Me Joseph Magnan, l’avocat des D., en précisant que « le trouble sanctionné consiste à avoir fait croire que l’on filmait, si bien que la voisine n’aura sans doute plus osé passer dans le champ de la camera ».

Copropriété et parties communes

Dans une copropriété, l’installation d’un système de vidéosurveillance est soumise à l’autorisation de l’assemblée générale, comme le rappelle l’affaire suivante : en 2009, les époux Z, propriétaires d’une villa au sein d’une copropriété horizontale, et victimes d’actes de malveillance, décident d’installer une caméra dans une de leurs pièces, afin de filmer non seulement le parking en face de chez eux, mais aussi une partie de la voie privée qui conduit chaque propriétaire à son domicile. Sur leur mur, ils ajoutent un projecteur doté d’un détecteur de présence.

Le syndicat des copropriétaires de La Colline du Scudo les assigne en référé, pour obtenir leur condamnation à tout enlever. Il explique que la voie privée relève des parties communes, et que l’installation de vidéosurveillance, « opérée dans le seul intérêt des époux Z, soit l’identification des auteurs des malveillances commises à leur encontre, et sans l’accord de l’assemblée générale des copropriétaires, alors qu’elle permet de filmer les parties communes », constitue un « trouble manifestement illicite ».

Le tribunal de grande instance d’Ajaccio le déboute, mais la cour d’appel de Bastia, qui statue le 24 février 2010, juge que l’installation des Z « compromet de manière intolérable les droits détenus par chacun [des copropriétaires] dans leur libre exercice de leurs droits sur les parties communes ». Elle considère que « le motif invoqué par les époux Z et lié à la recherche des auteurs des malveillances commises à leur endroit, fût-il légitime, ne peut pas cependant justifier l’installation litigieuse, au mépris des droits fondamentaux des tiers… ». Elle infirme l’ordonnance.

Les Z se pourvoient en cassation, en soutenant que « l’atteinte à la vie privée est justifiée par la protection d’autres intérêts, qui lui sont contraires, dès lors que cette atteinte est proportionnée à ces intérêts », mais ils essuient un rejet, le 11 mai 2011. Certains juristes estiment qu’avec cet arrêt, la Cour de cassation considère que c’est un vote à l’unanimité des copropriétaires qui est requis, pour autoriser la vidéosurveillance.

Servitude de passage

Un grand nombre de litiges se produisent à propos de voies privées, qui, de par certaines obligations, doivent être accessibles à des tiers. Lorsque les propriétaires de ces passages décident de les faire filmer, afin de « préserver leur sécurité », ceux qui y circulent protestent qu’on porte atteinte à leur vie privée.

C’est ce qui se produit ici : Jean-Claude et Emmanuel A, propriétaires d’une maison grevée d’une servitude de passage au profit de Liliane B, font installer une caméra de vidéosurveillance devant la porte qui donne sur le trottoir. Liliane se plaint alors de ce quelle-même et les personnes qui lui rendent visite sont filmées, et elle en réclame le retrait. Au tribunal, les consorts A répliquent qu’ils cherchent seulement à dissuader certains clients d’un restaurant voisin de pénétrer dans leur cour. Mais les juges constatent que les relations avec Liliane ne sont pas au beau fixe, les A lui reprochant notamment un certain manque de propreté.

Le tribunal de grande instance de Dole ordonne le retrait de la caméra, ce que confirme la cour d’appel de Besançon, le 1er avril 2009, « attendu que Liliane B est en droit de recevoir à son domicile toute personne de son choix, sans que les passages correspondants ne soient filmés et enregistrés ».

Emmanuel A se pourvoit en cassation, en soutenant que « l’installation d’un système de vidéosurveillance dans un lieu privé grevé d’une servitude de passage permet d’assurer la conciliation entre la prévention des atteintes aux biens et aux personnes et le droit au respect de la vie privée, dès lors que les usagers de ce lieu sont informés de manière claire et permanente de la mise en place d’un tel dispositif ». La Cour de cassation rejette sa demande, le 1er juillet 2010.

Trouble manifestement illicite

La cour d’appel d’Aix-en-Provence se réfère aux deux arrêts de cassation précédents, le 20 septembre 2018, lorsqu’elle statue sur un problème de servitude de passage au sein d’une copropriété. Les époux X, dont une bande de terrain est grevée d’une servitude au profit de deux maisons enclavées, celles des A et des B, font installer six caméras – cinq fixes et une sphérique - sur leur villa, afin, notamment, de surveiller ce chemin.

Les A et les B les assignent en référé, pour les voir condamner à les retirer, en soutenant qu’elles causent un trouble manifestement illicite, au regard de l’article 9 du code civil. Ils fournissent un procès-verbal d’huissier qui démontre que les caméras, situées en hauteur, couvrent leurs allées et venues. Ils ajoutent qu’aux termes du règlement de copropriété, la totalité du terrain constitue une partie commune, seules les constructions étant privatives, et qu’il fallait l’autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires pour installer de la vidéosurveillance qui couvre une partie commune. Le tribunal de grande instance de Marseille ordonne leur enlèvement sous astreinte, le 23 juin 2017.

Les X font appel, en soutenant que leurs caméras sont situées sur leurs parties privatives, de sorte qu’aucune autorisation ne leur était nécessaire. La cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui statue le 20 septembre 2018, met les points sur les i : « Ce qui est stigmatisé, ça n’est pas le lieu d’installation des caméras, mais les endroits qu’elles filment, qui sont soit communs, soit privés, mais utilisés par les copropriétaires pour gagner leur domicile. » Faisant référence aux arrêts du 1er juillet 2010 et du 11 mai 2011, elle confirme l’ordonnance du tribunal. Elle estime que « la volonté sécuritaire des époux Z est sans proportion avec le respect de la vie privée de leurs voisins ».