Le troisième tome du manga « Beastars » est sorti en France. / © 2017 PARU ITAGAKI / AKITASHOTEN

Que se passerait-il si l’on ­enfermait l’ensemble du ­règne animal dans un lycée à l’anglaise ? C’est l’idée de ­départ de Beastars, première série de la mangaka Paru ­Itagaki, ­saluée par de nombreuses récompenses au Japon, dont le prestigieux prix culturel Osamu Tezuka.

Cette série-phare du catalogue de l’éditeur Ki-oon, dont le troisième tome est sorti en France et la version animée attendue pour octobre sur Netflix, plante son décor à la pension fictive Cherryton, au milieu de laquelle les animaux anthro­pomorphes vivent dans une harmonie relative, avec une ­séparation de bon sens entre les herbivores et les carnivores. Les instincts sont réprimés ; les hormones adolescentes, exacerbées. Mais la paix sociale va s’ébrécher dès les premières pages quand l’un des élèves herbivores est ­retrouvé assassiné…

TVアニメ「BEASTARS」第2弾PV
Durée : 00:41

Cette critique sans fard et très mature de la ­nature humaine est venue naturellement à l’esprit de l’autrice de 24 ans, comme elle l’expliquait au Monde, lors de son passage au festival international de BD d’Angoulême (FIBD) en janvier dernier :

« Depuis toute petite, je dessine des dessins d’animaux qui marchaient sur deux jambes et portaient des vêtements. Au fur et à mesure, j’ai ajouté des histoires à ces dessins. »

Il en va de même pour Legoshi, le héros, un loup pacifiste et solitaire, souvent bouc émissaire de ses camarades. « Ce personnage existe dans ma tête depuis que j’ai 13 ou 14 ans. J’ai toujours eu envie de créer une histoire autour de lui », raconte Paru Itagaki. Ce n’est qu’en 2016, lorsqu’elle élabore le premier chapitre, qu’elle décide de s’inspirer de l’acteur Mathieu Amalric pour figurer l’animal. « J’ai été très marquée par son rôle dans Le Scaphandre et le papillon [de Julian Schnabel, 2007], et la façon dont il est capable de montrer ce qu’il pense au travers de son regard. Or, Legoshi parle peu et j’avais besoin de faire passer ses sentiments par un autre biais », détaille la dessinatrice. Si Legoshi se hisse naturellement en haut du règne animal, sa côte de popularité n’est pas la plus vertigineuse de Cherryton. Le rôle de beau gosse de l’école revient au très classe cerf Louis. S’il y a bien une leçon qui ressort de ce manga, c’est que les animaux les plus sauvages ne sont pas forcément ceux qui ont les crocs les plus affûtés.

« Pour moi, cet instinct des carnivores qui répriment autant qu’ils le peuvent leur envie de manger, de dévorer les herbivores, se rapproche de ce sentiment que disent avoir certains hommes à l’égard des femmes, ces pulsions sexuelles qui, soi-disant, les poussent à vouloir les posséder. Ces discours sont pétris de contradictions, à mes yeux. Les représenter par le biais de ce que ressentiraient les carnivores et les herbivores est une façon de rendre cela compréhensible. »

Legoshi, le loup pacifiste et solitaire héros de « Beastars ». / © 2017 PARU ITAGAKI / AKITASHOTEN

Paru Itagaki, qui joue aussi avec tendresse sur les codes adolescents et la symbolique de chaque espèce, n’hésite donc pas à rappeler que les relations sociales peuvent s’avérer violentes. « J’ai juste envie de refléter la réalité dans mon manga, et celle-ci peut par exemple passer par le dessin réaliste d’un personnage de fille qui s’assume totalement », explique-t-elle en faisant allusion à Haru, une lapine à la mauvaise réputation parce que sexuellement libérée.

Les choix réfléchis et assumés, parfois mis en scène de façon confuse dans les premiers tomes, tranchent avec le côté quelque peu timide de l’autrice de manga : Paru Itagaki apparaît en public avec un masque de poulet en latex sur la tête. Cette enfant de la balle essaie de sortir du sillage de son père, Keisuke Itagaki, l’auteur de la série de combat Baki.

La moisson de prix récoltés par sa série, le 1,3 million de tomes vendus au Japon, comme le dessin clair et singulier de la mangaka, n’auront aucun mal à éclipser son arbre généalogique. Aux mangas, qu’elle n’a jamais trop lus enfant, Paru Itagaki a préféré les dessins animés de Disney, les albums de Nicolas de Crécy et les œuvres d’Egon Schiele. Autant d’influences qui nourrissent son originalité.

Dans « Beastars », Paru Itagaki joue avec tendresse sur les codes sociaux. / © 2017 PARU ITAGAKI / AKITASHOTEN

Beastars, de Paru Itagaki, traduction d’Anne-Sophie Thevenon, éditions Ki-oon, 192 pages, 6,90 euros.