Directeur général et cofondateur de Blablacar, Nicolas Brusson dévoile ses ambitions pour sa plate-forme consacrée au covoiturage domicile-travail, Blablalines, créée en avril 2018. « Nous n’en sommes qu’au début de l’histoire », promet-il.

Pourquoi investir aujourd’hui le marché du covoiturage domicile-travail ?

Après avoir changé de nom [Covoiturage.fr est devenu Blablacar en 2012], nous avons décidé de nous développer à l’international. En l’espace de cinq ans, nous sommes passés de un à vingt-deux pays. Aujourd’hui, nous fédérons 70 millions de membres à travers le monde. Le pari de l’internationalisation est gagné. En 2017, nous avons voulu redéfinir notre modèle et nous projeter dans le futur. Nous avons alors identifié deux activités prometteuses et complémentaires à nos offres : les autobus et le covoiturage domicile-travail.

En quoi ces deux activités sont-elles complémentaires du covoiturage longue distance ?

Notre mission est de faciliter les voyages partagés. Notre ennemi : « l’autosoliste ». Dans cette lutte, le covoiturage entre grandes villes ne constitue pas la seule arme. Les autocars offrent également une alternative. Avec l’arrivée des « cars Macron », notre croissance ralentissait et nous nous sommes aperçus que, dans certains pays comme la Russie, les autocaristes se plaçaient en complémentarité du covoiturage pour remplir leurs véhicules. Nous avons lancé nos propres bus, racheté Ouibus [filiale de la SNCF] et le succès est au rendez-vous. Nous sommes devenus l’Amazon de la mobilité longue distance.

Comment le covoiturage domicile-travail s’est-il imposé à vous ?

Nous n’avions jamais réussi à faire décoller ce type de service. Pour le passager, il était difficile de trouver des propositions de trajets. Et pour le conducteur, difficile de trouver un passager. C’est le syndrome de l’œuf et de la poule.

De plus, par rapport à la longue distance, pour laquelle les trajets sont identifiés et limités en nombre, le covoiturage domicile-travail est plus compliqué à mettre en place car chaque passager a un trajet différent des autres.

Nous avons considéré qu’il fallait s’appuyer sur le succès rencontré sur la longue distance.
Aujourd’hui, notre application est plus performante, notamment grâce à la démultiplication des offres de trajet. Et, avec 16 millions de Français inscrits sur notre plate-forme, nous détenons une base importante d’utilisateurs potentiels pour la courte distance.

Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Entre avril 2018 et février 2019, un demi-million de personnes se sont inscrites sur notre plate-forme alors que nous n’avons mené aucune campagne de marketing. Notre communauté « longue distance » réalise également des trajets sur de courtes distances. La majorité des abonnés de Blablalines proviennent de cette communauté.

Quelles sont les différences d’usage entre la longue et la courte distance ?

Pour la longue, les trajets sont déclarés trois à quatre jours à l’avance. Pour la courte distance, nous demandons aux conducteurs de transmettre leurs agendas longtemps en amont alors que les passagers peuvent faire leurs recherches la veille au soir pour le lendemain matin. Nos technologies permettent d’organiser la rencontre entre le conducteur et le passager. A titre d’exemple, à partir des téléphones mobiles, nous obtenons les données de localisation des conducteurs et de leurs passagers, sur les parcours domicile-travail. Celles-ci nous permettent ainsi d’identifier des trajets potentiels supplémentaires, que nous proposons ensuite sur notre plate-forme, en temps réel.

« Pour le passager, il était difficile de trouver des propositions de trajets. Et pour le conducteur, difficile de trouver un passager. C’est le syndrome de l’œuf et de la poule. »

Avec Blablacar, sur la longue distance, le taux d’occupation du véhicule est passé de 1,7 à 3,2 personnes. Avec Blablalines, il est rare d’avoir plus d’un passager dans chaque voiture. Pour les trajets domicile-travail, le taux d’occupation s’établit aujourd’hui à 1,1 point seulement. Contrairement à la longue distance où les utilisateurs n’ont pas de voiture et cherchent un conducteur, sur la courte distance, les usagers sont généralement des conducteurs qui décident d’abandonner leur véhicule pour rejoindre celui d’un autre. Le développement du covoiturage domicile-travail accélérera le report modal, ce qui permettra de faire baisser de façon significative le nombre d’automobiles sur les routes.

Comment vous différenciez-vous des autres acteurs déjà présents sur ce marché du « court voiturage » ?

La plupart des plates-formes vendent leurs services auprès des entreprises. Sur le court terme, c’est efficace mais nous considérons qu’à long terme les entreprises ne sont pas le meilleur vecteur de développement. Le BtoB [business to business] n’est pas dans notre culture. Nous préférons travailler avec les collectivités locales pour fixer un cadre à l’échelon régional avant de l’étendre à un niveau national par la suite.

Quelles sont vos ambitions pour cette seule activité du covoiturage domicile-travail ?

Chaque jour, 18 millions de trajets sont réalisés entre le domicile et le lieu de travail. Nous œuvrons à trouver des solutions pour qu’une partie de ces volumes passe sur notre plate-forme. Nous n’en sommes qu’au début de l’histoire. Le développement va prendre du temps. Mais le potentiel est plus élevé que sur la longue distance, et l’impact environnemental plus fort.

Comment vous inscrivez-vous dans l’écosystème plus large de la mobilité ?

Nous avons lancé une offre d’assurance Blablasure avec Axa, pour les utilisateurs de Blablacar. Nous avons également noué un partenariat avec le loueur ALD Automotive pour leur proposer des véhicules en location longue durée (LLD).

A long terme, une offre de « voiture as a service » en LLD pourrait se développer [c’est-à-dire que la voiture ne serait plus attribuée à un conducteur mais utilisée parallèlement aux autres modes de transport pour un usage précis].

Plus la personne pratique le covoiturage, plus le loyer baisse. Blablalines permet d’économiser 2 à 3 euros tous les jours. Avec 30 à 40 trajets par mois, l’économie grimpe à une centaine d’euros. Le covoiturage longue distance permet également de réaliser des gains budgétaires. A l’avenir, grâce au covoiturage, peut-être pourra-t-on imaginer une offre de voiture en LLD à 1 euro par jour.