Edouard Philippe, premier ministre, prononce un discours lors de la « restitution » du grand débat national, au Grand Palais, à Paris. / JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR « LE MONDE »

Près de trois mois après le lancement du grand débat national, le premier ministre, Edouard Philippe, a livré, lundi 8 avril, les premiers enseignements que l’exécutif entendait tirer de la consultation, à laquelle environ 1,5 million de Français ont participé et qui a coûté quelque douze millions d’euros à organiser.

« Ce succès du grand débat n’est pas celui du gouvernement, c’est celui de tous les Français », s’est d’abord réjoui le chef du gouvernement, dans un court discours tenu à l’issue de la présentation des résultats de la consultation, qui avait lieu au Grand Palais, à Paris. « Ces réunions ont fait honneur à notre pays », a-t-il ajouté.

Devant un parterre de cinq cents personnes, parmi lesquelles la quasi-totalité du gouvernement, mais aussi les directeurs d’administration centrale et des représentants syndicaux (Laurent Berger de la CFDT notamment) ou d’associations, Edouard Philippe a reconnu que « toute synthèse paraîtra toujours un peu réductrice ».

Restitution du grand débat national au Grand Palais à Paris. / JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR « LE MONDE »

« Une immense exaspération fiscale »

Néanmoins, il a dit avoir retenu plusieurs idées fortes de la consultation, parmi lesquelles « une immense exaspération fiscale » : « Notre pays atteint aujourd’hui une forme de tolérance fiscale zéro », a-t-il reconnu. « Nous devons baisser, et baisser plus vite, les impôts. »

Le premier ministre a notamment semblé renoncer pour de bon toute hausse de la taxe carbone, à l’origine de la crise des « gilets jaunes ». Les Français « ne veulent plus que des taxes leur disent ce qu’ils doivent faire », a-t-il plaidé, assurant avoir entendu ce message « cinq sur cinq, fort et clair ».

De même, le premier ministre s’est dit déterminé à « rétablir l’équilibre entre les métropoles et les communes qui se trouvent à l’extérieur des logiques métropolitaines ». Pour cela, Edouard Philippe s’est engagé à « revoir les règles de l’urbanisme qui ont poussé à l’étalement » mais aussi à « investir davantage dans les transports ».

Emmanuelle Wargon, Edouard Philippe et Sébastien Lecornu participent à la « restitution » du grand débat national, au Grand Palais, à Paris. / JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR « LE MONDE »

« La thématique de la santé s’est invitée »

« La thématique de la santé s’est invitée » dans le débat, a également constaté Edouard Philippe, alors que ce sujet n’était pas initialement prévu dans la consultation par l’exécutif. « L’accès à un médecin traitant, l’organisation et l’accès au tissu hospitalier » feront donc partie des sujets traités par le gouvernement, a-t-il promis. « Nous entendons tous cette préoccupation monter, cette difficulté d’accéder à un médecin (…), cette angoisse, il faut évidemment l’entendre. »

Le premier ministre a aussi mis la pression sur les directeurs d’administration centrale, accusés d’être trop éloignés de la vie quotidienne des Français, en les invitant à « déployer une culture de la simplicité ». Il y a trop de « normes » et pas assez de « solutions » dans l’administration, a-t-il déploré.

S’il n’a pas voulu déflorer les mesures que devrait annoncer Emmanuel Macron, Edouard Philippe a, enfin, dit avoir retenu deux sujets des réunions auxquelles il a lui-même participé : la détresse des femmes élevant seules leurs enfants et privées de pensions alimentaires, ainsi que la situation des femmes travaillant dans les Ehpad. « Ces catégories devraient être parmi celles qui bénéficieront des premières annonces », assure un conseiller ministériel.

Restitution du grand débat national, au Grand Palais, à Paris. / JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR « LE MONDE »

Un recul sur les 80 km/h ?

Plus surprenant, le premier ministre a donné le sentiment d’être prêt à renoncer à la réduction à 80 km/h de la vitesse sur les routes, une mesure de son initiative, mise en œuvre le 1er juillet 2018 et souvent présentée comme le premier signe du divorce entre Emmanuel Macron et la France dite « périphérique ». « Je voulais sauver des vies, on m’a accusé de vouloir remplir les caisses », a regretté Edouard Philippe. Et d’ajouter : « Je dois apprendre à composer avec l’incompréhension ou le rejet. »

Avant le discours de M. Philippe, le gouvernement avait tenté de convaincre que « les Français ont été au rendez-vous », alors que l’opposition dénonce une consultation en trompe-l’œil. Selon les chiffres officiels, environ 1,5 million de personnes ont participé d’une manière ou d’une autre au grand débat. « 98 % de la population a eu une réunion ou un cahier [de doléances] à moins de vingt minutes en voiture », a assuré Sébastien Lecornu, le ministre chargé des collectivités territoriales.

Mais le grand débat « n’a pas la valeur d’un sondage (…), cela ne représente pas nécessairement tous les Français », a mis en garde Isabelle Falque-Pierrotin, ancienne patronne de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et membre du comité des garants de la consultation. « C’est une grande opération de communication qui coûte douze millions d’euros au contribuable », a dénoncé Alexis Corbière, député La France insoumise (LFI) de Seine-Saint-Denis, lundi matin sur LCI.

Restitution du grand débat national au Grand Palais à Paris. / JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR « LE MONDE »

« L’ancrage de l’individualisme dans la société »

Sur le fond, si le grand débat a donné lieu à « des propositions précises, pointues », il a aussi mis en lumière beaucoup de « divergences », ont reconnu les différents experts qui ont compilé les contributions. « Il n’y a pas forcément unanimité entre ce qui se dit sur les cahiers, sur la plate-forme, dans les débats », a elle-même reconnu Emmanuelle Wargon, la secrétaire d’Etat auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, chargée d’animer la consultation avec M. Lecornu.

« Ce que le grand débat a mis en exergue, c’est l’ancrage de l’individualisme dans la société. La majorité de ceux qui ont participé ont réagi par rapport à leur situation personnelle. Il est difficile d’y voir un projet national », s’interroge un conseiller de l’exécutif. « Cela montre que gouverner est un art de plus en plus difficile », ajoute un autre.

L’exécutif devrait poursuivre la restitution du grand débat tout au long de la semaine. Edouard Philippe devrait notamment donner un premier aperçu de la méthode et du calendrier lors de deux discours, mardi devant l’Assemblée nationale et mercredi devant le Sénat. Mais c’est Emmanuel Macron qui devrait se réserver les mesures, au moins dans un premier temps. L’Elysée a fait savoir que le chef de l’Etat ne s’exprimerait pas avant la mi-avril.