Le premier ministre, Edouard Philippe, a présenté, lundi 8 avril, un premier bilan de la vaste consultation citoyenne organisée après la crise des « gilets jaunes ». Patrick Roger, journaliste au Monde, a suivi de près les deux mois de débat national, officiel comme officieux, jusqu’à sa restitution lundi 8 avril. Il a répondu aux questions des internautes lors d’un tchat.

Vous avez suivi le débat depuis le début jusqu’à sa restitution, aujourd’hui : est-ce que vous trouvez que ça a vraiment servi à quelque chose ou bien ce n’était que de la communication politique ?

Patrick Roger : Bonjour. Lorsque ce grand débat a été lancé, nous étions dans une situation de grande tension politique. Cette initiative a eu pour mérite d’apaiser ces tensions et de permettre à une partie de la population d’exprimer, elle aussi, ce qu’elle avait sur le cœur. C’est un véritable moment d’expression démocratique, à une échelle inédite, quoi qu’en disent ses opposants. Elle a d’ailleurs été observée avec attention à l’étranger. Il est impossible de réduire ce grand débat à une opération de communication, même s’il est vrai qu’il a été en partie phagocyté par la tournée de rencontres avec les élus menée parallèlement par Emmanuel Macron, comme l’ont relevé les garants du grand débat.

Où en est l’idée d’un référendum en même temps que les élections européennes ? L’hypothèse est-elle encore étudiée, ou au contraire officiellement écartée ? Quel en serait le sujet ?

L’hypothèse d’un référendum concomitant avec les élections européennes a un temps été évoquée. Elle n’était guère réaliste. Aucune communication officielle n’a été délivrée à ce sujet mais c’est tout simplement exclu pour des raisons aussi bien politiques que techniques.

Le RIC [référendum d’initiative citoyenne] n’apparaît que peu car il faut le proposer dans sa contribution (comme aucune question ne le mentionne). Il apparaît ainsi dans moins de 7 % des contributions quand 80 % de la population semble y être favorable dans les sondages, cela montre toute la relativité des résultats de ce « grand débat »…

Ce grand débat n’est pas un sondage ni une enquête d’opinion. N’y ont participé que ceux et celles qui le voulaient, sous une forme ou sous une autre : cahiers citoyens, réunions d’initiative locale, contributions sur la plate-forme du grand débat. Hormis les participants aux conférences citoyennes qui étaient tirés au sort. Il ne peut donc pas prétendre à une représentation de l’ensemble des Français. Néanmoins, une participation de quelque 1,5 million de citoyens constitue un échantillon non négligeable. Et je ne suis pas sûr que le RIC soit plébiscité par 80 % de la population. Peut-être par 80 % des « gilets jaunes » mais, pour une grande majorité de la population, la démocratie représentative, avec tous ses défauts, et les critiques du système actuel ne manquent pas, reste une meilleure garantie au regard de certains excès de la démocratie directe.

Qu’en est-il de la proposition de supprimer la TVA sur quelques produits de première nécessité ?

Autant le dire maintenant quant aux questions posées sur les propositions qui pourraient être suivies de mesures décidées par l’exécutif. Le Monde n’est pas dans la tête d’Emmanuel Macron et n’est pas en mesure d’y répondre. Il faudra donc attendre les orientations qui seront prises et les décisions qui seront annoncées à partir de la mi-avril.

Annoncer une baisse « plus rapide » des impôts en préambule du détail des mesures, n’est-ce pas déjà assumer des mesures au rabais par manque de financement ?

De l’analyse et de la première synthèse des contributions au grand débat ressort très nettement une sensibilité exacerbée au « trop d’impôts ». Sensibilité qui peut parfois être considérée comme paradoxale quand elle se conjugue avec une demande de renforcement des services publics, mais c’est une réalité constatée depuis plusieurs années et qui a déjà produit des mouvements de fronde, amenant les gouvernements précédents à faire marche arrière sur des projets qu’ils avaient engagés. Tirer comme conclusion de ce débat qu’il faut baisser plus et plus vite les impôts apparaît donc en phase avec les attentes. Cela ne veut pas dire que c’est simple, compte tenu de l’état des finances publiques ; encore faut-il s’entendre sur quels impôts baisser, alors que les réponses s’apparentent parfois à des injonctions contradictoires : faire payer l’impôt sur le revenu par tous, taxer les hauts revenus, rétablir l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF).

Le Monde va t il faire un dossier comparant les résultats du débat « officiel » avec ceux du débat des « gilets jaunes » ?

Nous avons publié dans l’édition de ce lundi un ensemble portant à la fois sur les réponses au débat « officiel » et sur les initiatives parallèles.

Il était dit dans la presse que ce débat a été fait par des gens de plus de 60 ans, plutôt de CSP +, est-ce vrai ? Pourquoi cette information n’est-elle pas hiérarchisée par les journalistes comme extrêmement importante ?

Il y a eu beaucoup de caricatures colportées sur ce grand débat par ses opposants. Un débat qui n’aurait intéressé que les urbains alors que, proportionnellement, il y a eu plus de réunions d’initiative locale en milieu rural. Un débat auquel n’auraient participé que les partisans du pouvoir en place : les contributions attestent que ce n’est pas le cas. Dans les réunions d’initiative locale, oui, effectivement, une faible participation de jeunes, cela a été relevé à de nombreuses reprises. Encore une fois, cette consultation ne peut pas prétendre à une représentativité exacte de la population mais, à cette taille, elle n’en donne pas moins une image significative des attentes des Français de toutes catégories.

Pourquoi le gouvernement fait mine de parler seulement d’exaspération fiscale plutôt que de « justice fiscale » telle que demandée sur tous les ronds-points et dans tous les rassemblements ? Peut-on appeler cela une cachotterie intéressée ?

Pas de cachotterie. La question de la justice fiscale est au cœur des préoccupations exprimées dans le grand débat.

Ne pensez-vous pas que, quelles que soient les annonces d’Emmanuel Macron, il est condamné à décevoir, compte tenu de la diversité et de la multitude des revendications ?

Probablement. C’est l’inconvénient de la démocratie, et en particulier de la démocratie participative. Il y a là un tel foisonnement de demandes disparates qu’il est impossible de les satisfaire toutes, d’autant plus qu’elles sont parfois contradictoires entre elles. La déception sera probablement au rendez-vous, notamment de la part de ceux qui n’en attendaient rien. Mais la démocratie a le mérite de permettre à la déception de s’exprimer, ce qui n’est pas le propre de tous les régimes. L’enjeu, pour Emmanuel Macron, est de parvenir à convaincre une grande partie de la population qu’il a su tirer les leçons de cette crise majeure et des perspectives qu’il proposera.

Quid de la réindexation des retraites dans les propositions, qui semblait être une des revendications qui revenait le plus ?

Ce sujet apparaît également très fortement dans la restitution du grand débat, notamment à travers l’analyse des cahiers citoyens.

Ce grand débat portait sur quatre thèmes principaux, imposés pas M. Macron. En imposant des thèmes (et en excluant de facto d’autres), le grand débat ne passe-t-il pas à côté de l’objectif annoncé ?

Il y a un incontestable biais à ce grand débat : les thèmes retenus, la formulation des questions et les formulaires d’argumentation accompagnant chacune des thématiques ont forcément induit fortement les réponses attendues. C’est pour cela que l’on pourrait assimiler cette consultation à un sondage ou à une enquête d’opinion (mais peut-on considérer que ces derniers ne sont pas eux-mêmes biaisés ?). Il n’en demeure pas moins que l’on n’avait jamais connu d’initiative de participation citoyenne à cette échelle en France (la dernière consultation de cette nature, sur l’Europe, avait réuni 70 000 participants). L’objectif de permettre aux citoyens de s’exprimer a bien été atteint.