Le président de la République Emmanuel Macron, à l’Elysée, le 5 avril 2019. / PHILIPPE WOJAZER / REUTERS

Editorial du « Monde ». La France traverse, depuis cinq mois, une crise sociale inédite, déclenchée par la révolte des ronds-points, mais révélatrice d’une très profonde défiance des citoyens à l’égard des gouvernants. Aujourd’hui encore, en dépit des violences et des dérapages qui ont émaillé les mobilisations hebdomadaires, la moitié des Français apportent leur soutien au mouvement des « gilets jaunes ».

Accusé et acculé, le pouvoir exécutif y a répondu par une initiative sans précédent : trois mois d’un grand débat national offrant à chacun, par de multiples canaux, la possibilité de « vider son sac » et d’exprimer ses attentes et ses revendications. Engagé à la mi-janvier par le président de la République dans un scepticisme général, l’exercice aurait pu tourner au fiasco. Cela n’a pas été le cas. Même s’ils ne sont pas représentatifs de l’ensemble de la population et pas davantage du « peuple » des « gilets jaunes », quelque 1,5 million de Français ont joué le jeu de cette introspection collective. Prétendre que tout cela n’aura été qu’une « mascarade » relève de la mauvaise foi ou d’une opposition pavlovienne.

Encore faut-il que le président et le gouvernement en tirent des conclusions à la hauteur des attentes multiples, complexes, disparates qui se sont exprimées et des doutes largement partagés sur leur capacité à y répondre. Le premier ministre, Edouard Philippe, l’a dit sans détour, lundi 8 avril, en faisant le compte rendu des contributions citoyennes recueillies depuis trois mois : « Hésiter serait pire qu’une erreur, ce serait une faute. Tout conservatisme, toute frilosité seraient à mes yeux impardonnable. »

A quelques jours des premières décisions que doit annoncer le chef de l’Etat, le message est donc clair : de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ! Il va en falloir à Emmanuel Macron pour dénouer les contradictions auxquelles il est confronté. L’équation à résoudre est d’abord politique. Affaibli, contesté, vilipendé, c’est pourtant du chef de l’Etat en premier et en dernier ressort que sont attendues des réponses à la crise.

« Rien ne sera comme avant »

Du fait même du grand débat qu’il a mené dans le pays, il doit trancher sans avoir l’air d’imposer d’en haut ses solutions. Il faudrait qu’il soit impérieux, mais c’est précisément sa posture « jupitérienne » qui a été récusée par les Français. Etre déterminé sans être autoritaire, être inventif sans braquer davantage le pays et démontrer, comme il l’a répété la porte-parole du gouvernement, que, « après le grand débat, rien ne sera comme avant » : la gageure n’est pas mince.

Elle l’est d’autant moins que le champ des réponses attendues est immense, touche à l’essentiel et entraîne des demandes contradictoires : la « redéfinition du projet démocratique », selon les termes d’Emmanuel Macron, mais aussi « l’exaspération fiscale » des Français, selon ceux du premier ministre, la baisse des impôts, annoncée par bien des éminences gouvernementales, mais, en même temps, le renforcement des services publics, l’efficacité de l’Etat, mais aussi sa proximité, l’obsession des fins de mois mais encore la hantise de la crise climatique. Le tout avec une équation budgétaire contrainte par le ralentissement de la croissance économique.

On peut comprendre que le président de la République prenne quelques jours de réflexion avant de se dévoiler : c’est le sort de son quinquennat qu’il va remettre en jeu. Sans droit à l’erreur.

Grand débat national : ce qui pose problème
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