Vote du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, mardi 9 avril, à Jérusalem. / ARIEL SCHALIT / AFP

La domination idéologique et politique de la droite israélienne devrait se confirmer lors des élections législatives du mardi 9 avril, au terme d’une campagne d’une rare violence, sans véritable débat de fond. Comme en 2015, Benyamin Nétanyahou s’est positionné plus à droite que jamais. Pour la première fois, le premier ministre a ouvertement dit que, s’il était reconduit, il organiserait l’annexion de territoires palestiniens en Cisjordanie.

K_MDB : Quelles sont les chances de Benyamin Nétanyahou d’être élu ce soir ?

Piotr Smolar : Nous aurons les premières estimations à 21 heures, heure de Paris, 22 heures ici. Mais il faudra les prendre avec de très longues pincettes. En mars 2015, l’Union sioniste dirigée par le travailliste Isaac Herzog et Tzipi Livni était donnée en tête. Au petit jour, le Likoud avait fini six points devant.

« C’est un troc redoutable, de portefeuilles ministériels et de promesses législatives, pour arriver à constituer une majorité »

Les sondages publiés la semaine dernière, interdits depuis vendredi, ont donné des résultats très contradictoires. Il est difficile d’y constater une vraie dynamique dans un sens ou un autre, entre le Likoud de Benyamin Nétanyahou, qui aspire à un 5e mandat, et la nouvelle formation Bleu et Blanc, de l’ancien chef d’état-major Benny Gantz. Les deux listes se tiennent à environ trois, quatre points, mais on ne sait même pas dans quel sens.

Rappelons un point fondamental : le système parlementaire israélien. La Knesset compte 120 députés. Le président, Réouven Rivlin, devra désigner au terme des élections le responsable le mieux placé pour bâtir une coalition. Ce processus peut prendre quarante-deux jours. C’est un troc redoutable, de portefeuilles ministériels et de promesses législatives, pour arriver à constituer une majorité d’au moins 61 députés. De ce point de vue, de façon constante, les sondages donnent plus de chances à M. Nétanyahou, en raison de ses alliés d’extrême droite.

DB : Qui incarne le « vote de gauche » dans le cadre de ces élections ?

P. S. : Le mot « gauche » est devenu radioactif dans la politique israélienne. Etre de gauche signifierait trahir les intérêts sécuritaires d’Israël, mettre le pays en danger. C’est totalement absurde, mais très efficace. Benny Gantz a lancé sa campagne en se prétendant ni de gauche ni de droite.

Au sein du parti travailliste, il existe de nouvelles personnalités, comme Stav Shaffir, une ex-égérie du mouvement contre le coût de la vie en 2011, mais elles ont du mal à s’adresser à l’ensemble des citoyens. Ne reste que le Meretz, la petite formation de gauche, qui va essayer de rester à la Knesset.

Vero : Comment expliquez-vous que Nétanyahou soit si populaire auprès des jeunes et moins auprès des seniors ?

P. S. : Il faudrait interroger les sociologues ! Je citerai trois facteurs : le pessimisme profondément ancré concernant une solution négociée au conflit avec les Palestiniens ; l’intégration de la population russophone et enfin, la dérive populiste de la droite.

« Depuis 2015, la droite, sous la direction de Nétanyahou, s’est engagée sur une pente populiste, identitaire »

Depuis 2015, la droite, sous la direction de Nétanyahou, s’est engagée sur une pente populiste, identitaire, qui inquiète jusqu’aux figures d’une droite traditionnelle, modérée, comme l’actuel chef de l’Etat, Réouven Rivlin. Cela se ressent dans les projets de loi déposés à la Knesset, mais aussi sur les réseaux sociaux, dans les médias, avec un langage de stigmatisation et de haine contre la gauche, la minorité arabe, la presse, etc.

Beaucoup de jeunes sont plus sensibles à cette polarisation identitaire qu’à des discours plus abstraits sur les valeurs originelles du sionisme. Un certain nombre de personnes âgées, de leur côté, ont la mémoire d’une autre façon de faire la politique, moins abrasive.

Je citais l’excellente intégration de la population russophone pour la raison suivante. Le million de personnes arrivées de l’ex-espace soviétique avaient tendance à voter massivement pour Avigdor Lieberman, qui était jusqu’en novembre ministre de la défense. Ce n’est plus le cas. Leurs enfants, nés en Israël, sont totalement israéliens : ils ont fait l’armée, fréquenté les écoles locales, l’hébreu est leur première langue. Ils votent non pas en fonction de leaders communautaires russophones, mais en fonction d’autres priorités politiques. Ils se placent souvent très à droite sur l’échiquier.

Vova : Nétanyahou ne fait-il pas l’objet d’une procédure d’inculpation ? S’il est condamné, quid de sa potentielle réélection ?

P. S. : En effet, une triple procédure d’inculpation a été déclenchée à la fin de février contre le premier ministre, pour abus de pouvoir et corruption. Ces affaires portent à la fois sur son style de vie, son goût du luxe (champagne, cigares, bijoux pour sa femme, Sara), et ses rapports toxiques avec les médias, qu’il rêve de contrôler.

Ces affaires ont joué un rôle dans la campagne, mais à quel point pèseront-elles dans les urnes ? Personne ne le sait. Il faut aussi souligner que les procédures judiciaires vont être très longues. Une première audition pourrait avoir lieu d’ici à la mi-juillet. Le procureur général, Avichaï Mandelblit, pourrait inculper Nétanyahou d’ici à la fin de l’année.

S’il est alors en poste, sa coalition risque d’en être très secouée. Comment organiser sa défense, tout en dirigeant le pays ? Cela dit, sur le plan du droit, rien n’obligerait Nétanyahou à démissionner jusqu’à l’épuisement de tous ses appels, en cas de condamnation devant un tribunal. Un cycle judiciaire qui pourrait, potentiellement, prendre des années.

Rose : La déclaration polémique de Nétanyahou sur les territoires palestiniens qu’il souhaite annexer est-elle même réalisable ? Si oui, qu’est-ce que cela entraînerait ?

P. S. : Une précision tout d’abord. Nétanyahou n’a pas dit qu’il souhaitait l’annexion de la Cisjordanie, ni même de la zone C qui représente 60 % de ce territoire. Il a dit qu’il voulait organiser, s’il est reconduit à son poste, l’annexion graduelle de toutes les colonies sans faire de distinction entre les blocs de colonies, comme Ariel, et les colonies isolées, qui en principe devraient être démantelées.

« On ne sait pas si Nétanyahou osera aller jusqu’à l’annexion, mais il en aura la latitude politique et la couverture diplomatique, avec les Etats-Unis »

Les commentateurs se divisent depuis trois jours sur la valeur de ses propos, qui visent à vampiriser les votes de l’extrême droite. Nétanyahou voit aussi les possibilités incroyables qu’offrent ses relations fusionnelles avec l’administration Trump. Il a déjà tant obtenu de sa part, sans contrepartie.

On ne sait pas si Nétanyahou osera aller jusqu’à l’annexion, mais il en aura la latitude politique et la couverture diplomatique, avec les Etats-Unis. Le prix à payer serait néanmoins très élevé, sur le plan sécuritaire, mais aussi pour le rapprochement, avancé en coulisse, avec les pays arabes.

Ce qui est le plus inquiétant, dans ces propos, c’est la banalisation d’un projet qui était encore farfelu et marginal il y a dix ou vingt ans. Nétanyahou accorde le poids de sa parole et de sa fonction à ce qui était auparavant le rêve fou de l’extrême droite.

Cyrus : Pouvez-vous nous donner un aperçu schématique des « alliés » potentiels et de leur poids pour former une coalition du côté du Likoud et la liste Bleu et Blanc ?

P. S. : Question très difficile, car l’écart entre le Likoud et la liste Bleu et Blanc sera déterminant. Mais on a quelques pistes. Gantz a ménagé pendant la campagne les deux partis ultraorthodoxes, Shas et Judaïsme unifié de la Torah. Il aimerait les conduire à se détourner de Nétanyahou, qui les a gâtés depuis quatre ans.

Benny Gantz, leader de la liste Bleu et Blanc, avec se femme et ses partisans après avoir voté à Rosh Ha'ayin, mardi 9 avril. / NIR ELIAS / REUTERS

Mais ces deux partis détestent Yaïr Lapid, l’allié de Benny Gantz, ex-ministre de l’économie de Nétanyahou, qui a toujours milité pour l’égalité des citoyens devant la conscription. Or les seules priorités de ces partis haredim sont le financement des écoles religieuses et le statu quo sur le service militaire, pour que leurs jeunes n’aillent pas sous les drapeaux.

Les deux autres alliés potentiels à droite sont les centristes de Koulanou, du ministre des finances Moshe Kahlon, mais on n’est pas sûr qu’ils parviendront à franchir la barre fatidique des 3,25 % pour entrer à la Knesset, et le parti Zehout, la révélation de la campagne. Ce parti dirigé par un ancien du Likoud, Moshe Feiglin, est une fusion entre un messianisme incendiaire et des propositions libertariennes, comme la légalisation du cannabis. Feiglin s’est abstenu de choisir entre Gantz et Nétanyahou, pour mieux faire monter les enchères dans la perspective des négociations qui débuteront dès mercredi.

Un ami suisse : Quelles seraient les conséquences d’un départ de « Bibi » pour Gaza ? Le Hamas a-t-il intérêt à une alternance ?

P. S. : Nétanyahou essaie d’imposer l’idée, depuis longtemps, qu’il est le seul garant de la sécurité nationale, par son expérience et sa stature, familier des grands de ce monde. Mais la gestion sécuritaire et politique de la crise à Gaza, depuis le lancement de la « marche du retour », à la fin de mars 2018, l’a mis en difficulté et l’a exposé aux critiques de la droite nationaliste ainsi que de Benny Gantz. Ce dernier a évoqué le rétablissement des assassinats ciblés contre les leaders du Hamas, qui provoquerait une escalade militaire aux conséquences désastreuses des deux côtés.

Confronté à une colère populaire croissante et à des difficultés financières, le Hamas pense à sa survie. Les subtilités de la politique israélienne ne sont pas déterminantes, même si son leader à Gaza, Yahya Sinouar, connaît très bien Israël et ses dirigeants, pour avoir passé vingt-deux ans dans ses prisons.