L’accusée, Jennifer Wenisch, se cache le visage derrière une chemise aux côtés de ses avocats, alors qu’elle arrive au tribunal pour l’ouverture de son procès le 9 avril 2019, à Munich (Allemagne). / PETER KNEFFEL / AFP

Accusée d’avoir laissé mourir de soif une fillette yézidie en Irak, une Allemande est jugée depuis mardi 9 avril pour crime de guerre et meurtre, dans le premier procès du genre contre un membre du groupe Etat islamique (EI).

Les avocats qui représentent la mère de la victime – dont la Libano-Britannique Amal Clooney ainsi que la Prix Nobel de la paix Nadia Murad –, considèrent cette procédure judiciaire comme « la première dans le monde pour les crimes commis par l’EI contre les victimes yézidies », minorité religieuse kurdophone persécutée et asservie en Irak par les djihadistes à partir de 2014.

Le procès se déroule devant un tribunal de Munich, sous haute protection policière, et doit durer jusqu’en septembre. L’accusée, Jennifer Wenisch, âgée de 27 ans, encourt la perpétuité. Cheveux longs noués en natte, veste noire et chemise blanche, elle est entrée dans la salle d’audience cachant son visage derrière un dossier cartonné rouge jusqu’au départ des caméras.

Issue d’un milieu défavorisé, sans formation et n’ayant pas terminé le collège, la jeune femme avait quitté l’Allemagne pour rejoindre l’EI en septembre 2014. Selon l’accusation, de juin à septembre 2015, elle patrouillait, armée, pour la police des mœurs à Fallouja et Mossoul, deux villes irakiennes. Elle y veillait notamment au respect des règles de conduite et d’habillement fixées par les djihadistes.

Morte de soif de manière atroce

A la même période, elle et son mari ont acheté, parmi un groupe de prisonniers, une fillette de 5 ans et sa mère issues de la minorité yézidie pour en faire leurs esclaves, toujours selon l’accusation. Le parquet explique dans un communiqué :

« Un jour que la petite fille était malade, elle a mouillé son matelas [en urinant]. Le mari de l’accusée l’a punie en l’enchaînant à l’extérieur par une chaleur de plomb, la laissant ainsi mourir de soif de manière atroce. L’accusée a laissé son mari faire et n’a rien entrepris pour sauver la fillette. »

Pour l’avocat de la défense, Ali Aydin, sa cliente n’aurait rien pu faire en tant que femme. « C’était un autre pays, une autre culture », a-t-il déclaré à la presse mardi. Selon la presse allemande, Nora B., la mère de la victime qui vit désormais réfugiée en Allemagne, a expliqué aux enquêteurs que l’accusée était intervenue, mais lorsqu’il était déjà trop tard.

Mme Wenisch a été arrêtée par les services de sécurité turcs en janvier 2016 à Ankara, puis a été extradée vers l’Allemagne. Mais elle n’a été placée en détention qu’en juin 2018, après avoir été arrêtée en tentant de rejoindre avec sa fille de 2 ans les territoires que l’EI contrôlait encore en Syrie.

Selon le magazine Der Spiegel, c’est au cours de ce départ avorté qu’elle a raconté sa vie en Irak à son chauffeur. Elle lui a confié la mort de la fillette. Ce dernier était en réalité un informateur du FBI qui la conduisait dans une voiture équipée de micros. Le parquet a utilisé ces enregistrements pour l’inculper.

Un « grand moment » pour la communauté yézidie

Les avocats allemands de la partie civile, Mme Clooney et Nadia Murad, ancienne esclave sexuelle de l’EI, réclament dans un communiqué commun que Jennifer Wenisch soit aussi condamnée pour crimes contre l’humanité, trafic d’êtres humains et torture.

Les deux femmes sont à la tête d’une campagne internationale pour faire reconnaître les crimes contre les yézidis comme un génocide, mais elles n’étaient pas présentes mardi à Munich. Selon Nadia Mourad :

« Cette affaire est importante pour tous les survivants yézidis. Chaque survivant que j’ai pu rencontrer attend la même chose : que les coupables soient poursuivis (…) ceci est donc un grand moment pour moi, pour toute la communauté yézidie. »

Pour Amal Clooney, il doit s’agir « du premier procès parmi de nombreux autres ».

Dans l’enregistrement réalisé à son insu, Jennifer Wenisch semble, selon le Spiegel, consciente de la gravité des sévices infligés à l’enfant. C’était « abusé, même pour l’EI », aurait-elle dit. Selon le magazine, le groupe Etat islamique a physiquement châtié en conséquence l’époux. D’après le quotidien Süddeutsche Zeitung, l’homme identifié comme Taha Sabah Noori Al-J. se trouverait dans la zone frontalière turco-irakienne.

Comment l’Etat islamique (EI) a perdu son territoire
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