Agnès Baillon (née en 1963 à La Ferté-Milon, dans l’Aisne) dresse une véritable galerie de portraits et construit un monde peuplé de figurines qui oscillent entre silence et recueillement, où, malgré la ressemblance, les postures diffèrent d’un personnage à l’autre. Son exposition personnelle – intitulée « Le Grand Bain » – a lieu à la galerie Felli, à Paris, jusqu’au 14 avril : l’artiste se confie et nous explique sa démarche.

Portrait d’Agnès Baillon, dans son atelier, à Paris, en 2015. / ANTONY LYCETTE / AGNES BAILLON

Quelle est la période de l’histoire de l’art que vous préférez – et qui vous inspire ?

Je suis passionnée par la Renaissance, j’admire les bustes religieux en bois polychrome souvent rehaussés de feuille d’or. J’ai souvent créé des bustes reliquaires contemporains : j’aime l’idée d’une sculpture dans une autre, avec des personnages à différentes échelles. Je travaille beaucoup sur le thème des portraits sculptés. Ils m’inspirent pour leur représentation hiératique et la matière du bois peint lissé puis abîmée et usée, ils donnent une vibration qui me fait penser au temps qui passe.

J’aime aussi la période romaine, les peintures de Pompéi et les portraits funéraires des tombes romaines. Préférant retrouver les vestiges d’une époque passée, je travaille souvent sur le thème des fragments en bronze – référence aux portraits humanistes des tombes du Fayoum (Egypte ancienne).

Deux petits bustes reliquaires (2016). / JEAN-LOUIS LOSI / AGNES BAILLON

Et dans l’art contemporain ?

L’artiste qui m’inspire le plus est le sculpteur Ron Mueck (né en 1958 à Melbourne, en Australie). Ce qui me captive dans son œuvre, c’est le vertige que l’on ressent en étant physiquement face à ses personnages. C’est tellement réel ! Un trouble qui vient sans doute de l’hyperréalisme de ses sculptures et de la différence de taille entre une œuvre monumentale et celui qui la regarde. Il sait passer à travers les gens, à travers les apparences pour ne garder que l’essentiel : la beauté intérieure.

Dans vos séries, vous vous inspirez souvent de faits de société ou de films !

Cette fois-ci, c’est en allant voir Le Grand Bain [comédie dramatique française coécrite et réalisée par Gilles Lellouche et sortie en salle en 2018] que j’ai eu envie de représenter des personnages un peu gauches et maladroits, souvent blessés par la vie. Les acteurs de ce film n’ont pas des physiques d’athlètes et ne sont pas amenés à gagner : chacun peut se projeter dans ces corps imparfaits. Moi qui suis une grande solitaire, j’ai trouvé dans cette équipe un état d’esprit bienveillant et combatif. J’aime les adultes qui gardent un esprit d’enfant.

« Les Quatre Plongeuses » (2018). / JEAN-LOUIS LOSI / AGNES BAILLON

Comment construisez-vous vos statuettes et quelles techniques utilisez-vous ?

Je construis mes statuettes avec une structure en papier et tiges d’aluminium, ce qui me permet de changer la position, la grandeur et d’improviser sans cesse. Rapidement, je peins le regard pour guider l’expression du visage, je pose ensuite différentes couches de papier mâché, je frotte pour avoir une surface lisse, puis je passe plusieurs couches successives et transparentes de peintures à l’eau. Enfin, je frotte avec des râpes à bois pour retrouver la couleur du papier et faire penser aux transparences du corps. Ce n’est pas de la sculpture mais du modelage, comme de la terre. Pour la peinture, je passe beaucoup de glacis, et de la peinture acrylique, et de l’aquarelle.

Que voulez-vous transmettre par vos sculptures ?

Ce qui me taraude, c’est l’obsession de créer des vies, c’est comme un apaisement. Je travaille tous les jours, c’est presque aussi important que de boire ou manger, cela fait partie de ma vie. Ce qui m’intéresse, c’est de trouver « l’intensité sensible » et la faire ressentir au spectateur. J’aime qu’il se projette dans mes sculptures, qu’il s’identifie, qu’il soit touché par la présence du personnage. C’est un instant figé, comme une photographie.