Mardi 9 avril, dans la capitale, les forces de l’ordre ont fait usage de gaz lacrymogènes et de canons à eau pour tenter de disperser les contestataires. / STRINGER / AFP

Y a-t-il vraiment un chef d’Etat intérimaire et un gouvernement en Algérie ? Dans l’attente de premiers pas du gouvernement nommé par Abdelaziz Bouteflika avant son départ, la nouvelle sortie médiatique du chef d’état-major de l’armée algérienne, le général Ahmed Gaïd Salah, renseigne un peu plus sur la réalité du pouvoir, huit jours après la démission de l’ancien président.

Au lendemain de la désignation, mardi 9 avril, d’Abdelkader Bensalah comme président intérimaire pour une durée de quatre-vingt-dix jours, le patron de l’armée a de nouveau pris la parole, en marge d’une visite effectuée dans des installations militaires dans l’ouest du pays. Il y a adopté, pour la première fois depuis la démission d’Abdelaziz Bouteflika, un ton menaçant à l’égard des manifestants, en les accusant d’être en partie manipulés depuis l’étranger.

C’est la première fois depuis le 5 mars qu’il brandit l’épouvantail de la « main étrangère », habituellement cher au pouvoir dès lors qu’il est contesté. Le chef d’état-major a ainsi accusé des « parties étrangères » de chercher à imposer leur solution pour la période de transition :

« Avec le début de cette nouvelle phase et la poursuite des marches, nous avons déploré l’apparition de tentatives de la part de certaines parties étrangères, partant de leurs antécédents historiques avec notre pays, poussant certains individus au-devant de la scène actuelle en les imposant comme représentants du peuple, en vue de conduire la phase de transition. »

Une allusion à peine voilée à des « parties » françaises qu’il n’a pas nommées. Hasard ou non, Aymeric Vincenot, chef du bureau de l’Agence France-Presse à Alger, a été contraint, la veille, de quitter le pays après le refus des autorités algériennes de renouveler son accréditation pour 2019.

L’armée refuse de sortir du cadre de la Constitution

Cette « main étrangère » voudrait, selon ses dires « mettre en exécution [ses] desseins visant à déstabiliser le pays et semer la discorde entre les enfants du peuple, à travers des slogans irréalisables visant à mener le pays vers un vide constitutionnel et détruire les institutions de l’Etat, accuse-t-il. Ce que nous avons récusé catégoriquement depuis le début des événements, car il est irraisonnable de gérer la période de transition sans les institutions qui organisent et supervisent cette opération. »

L’essentiel était dit. L’armée refuse donc, pour l’instant, de sortir du cadre de la Constitution, alors que les manifestants rejettent toute transition dirigée par les proches d’Abdelaziz Bouteflika : les « 3B », comme les nomme la foule. Soit Abdelkader Bensalah, le chef d’Etat par intérim ; Noureddine Bedoui, le premier ministre ; et Tayeb Belaiz, le président du Conseil constitutionnel. Tous trois issus d’un « vieux monde » que les contestataires entendent « dégager », tant ils n’inspirent aucune confiance à nombre d’Algériens qui réclament une transition politique menée par des personnalités indépendantes.

Au même moment à Alger, enseignants, syndicalistes et étudiants sont à nouveau sortis nombreux dans les rues pour refuser la désignation d’Abdelkader Bensalah. En province, les villes de Tlemcen et Chlef, dans l’ouest, ou Bouira et Tizi-Ouzou en Kabylie ont également vu des milliers de manifestants défiler, selon la presse locale.

Dans la capitale, les forces de l’ordre ont fait usage, pour la deuxième journée consécutive, de gaz lacrymogène et de canons à eau pour tenter de disperser les contestataires. Sur les réseaux sociaux, de nouveaux appels – soutenus par l’opposition, syndicats et associations – appellent les Algériens à défiler en masse vendredi.