Victor Hugo, carnet de séances spirites, texte dicté dans le noir par les esprits. Procès-verbal de la séance du 4 juin 1855. / DÉPARTEMENT DES MANUSCRITS, BNF

Ne cherchez pas de beaux manuscrits dans ces allées. Pas d’enluminures, ni de couvertures stylisées pour la nouvelle exposition présentée à la Bibliothèque François-Mitterrand à Paris. Plutôt quelques mots griffonnés à la va-vite ; des pages qui ont été mouillées, abîmées, maltraitées par le temps ou leur propriétaire, mais écrites dans des moments d’exception. « Manuscrits de l’extrême » est un spectacle de l’écriture en situations périlleuses, l’écrit comme mode de délivrance.

« C’est en réétudiant les manuscrits de L’Eternité par les astres d’Auguste Blanqui que j’en ai eu l’idée », précise Laurence Le Bras, commissaire de l’exposition et conservatrice au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France (BNF). Ce révolutionnaire du XIXe siècle a écrit son œuvre depuis sa cellule, enfermé, comme durant la moitié de sa vie. Pièce maîtresse de l’exposition, son manuscrit ouvre la section « Prison ». Sur des feuillets transparents, l’auteur s’est appliqué à dérouler minutieusement son réquisitoire contre la société, à travers des lettres hautes d’à peine un millimètre, si serrées et tassées qu’il est difficile de distinguer ne serait-ce qu’un mot.

Autour du texte d’Auguste Blanqui s’articulent les témoignages d’anonymes ou de personnalités. Des derniers mots de Marie-Antoinette à l’ultime lettre d’un jeune fusillé à son père, des séances occultes en famille de Victor Hugo au journal intime de Marie Curie au lendemain du décès de son mari. Des manuscrits qui ont pour point commun d’être les témoins d’un moment où l’écriture représentait la dernière échappatoire.

Quatre portes d’entrée

On entre dans l’exposition par un grand couloir blanc, sobre, qui donne sur un carrefour. Quatre chemins se dévoilent, comme autant de portes d’entrée vers l’univers des manuscrits. Les 350 m2 de la galerie se compartimentent en sections : « Prison », « Passion », « Possession » et « Péril ». A chacune sa salle et sa couleur.

La « Prison » est sans conteste la section la plus glaçante. Le noir y domine. Sur toute la largeur d’un mur, des dessins d’enfant déroulent le scénario illustré d’un film. Plusieurs mètres d’illustrations maladroites, racontant l’histoire d’un Capitaine Blood et de ses fabuleux abordages. A la lecture du cartel apposé à côté de la longue vitrine, le visiteur apprend qu’il s’agit des dernières esquisses des enfants de la colonie d’Izieu, qui seront déportés quelques jours plus tard.

Dessin du « Retour à la maison et à l’école » (entre 1942 et 1944), par les enfants d’Izieu [anonyme]. / DÉPARTEMENT DES ESTAMPES ET DE LA PHOTOGRAPHIE, RÉSERVE, BNF © DROITS RÉSERVÉS

Plus loin, une chaise retournée. Difficilement lisibles, quelques lettres grises se détachent discrètement du bois foncé de l’assise. « En toute amitié à mes camarades féminins et masculins qui m’ont précédé et qui me suivront dans cette cellule. Qu’ils gardent la foi. Que Dieu évite ce calvaire à ma bien-aimée fiancée ». Les mots d’encouragement d’un résistant à ses successeurs gravés sur une chaise du quartier-général de la Gestapo.

« Pas de mémoires »

« Dans cette sélection vaste d’écrits, nous n’avions qu’un critère d’exclusion : il fallait que les manuscrits vivent le moment extrême. Pas de mémoires, rien d’a posteriori », explique Laurence Le Bras. Au-delà de l’intérêt historique des pièces, les souffrances de la vie qu’elles racontent prennent sens aux yeux des visiteurs. « Sans même connaître l’histoire de Paul Celan et de sa femme, on peut comprendre sa passion dans les cinq lettres enflammées à son épouse écrites dans la même journée », commente la commissaire, évoquant les lettres du poète présentée dans la section « Passion » aux murs teintés de rouge . Les lettres avaient été rédigées à l’hôpital où Paul Celan avait été interné après avoir tenté d’égorger sa compagne.

Montée en moins d’un an, alors que deux années sont généralement nécessaires aux expositions de la BNF, « Manuscrits de l’extrême » tire aussi sa richesse de sa composante collaborative. « L’exposition a suscité un vrai enthousiasme chez nos confrères et collègues », se félicite Laurence Le Bras. Parmi les 150 pièces exposées, beaucoup proviennent de la BNF, mais certaines ont aussi été prêtées par des musées, bibliothèques municipales ou collections de particuliers.

« L’Eternité par les astres » (1871), d’Auguste Blanqui. / DÉPARTEMENT DES MANUSCRITS, BNF

Héloïse Linossier

« Manuscrits de l’extrême. Prison, passion, péril, possession ». Bibliothèque François-Mitterrand, quai François Mauriac, Paris 13e. Jusqu’au 7 juillet, tous les jours sauf le lundi. Tarifs : 9 € et 7 € (réduit).