Image tirée du film « Love, Cecil », de Lisa Immordino Vreeland. / « Love, Cecil »

LA LISTE DE LA MATINALE

Cette semaine, le cinéma invite aux redécouvertes : de l’œuvre de Cecil Beaton, le photographe aux mille vies, aux amours adolescentes et leur souvenir doux-amer. Sans oublier Federico Fellini, qui n’était pas qu’un grand caricaturiste turbulent.

« Les Oiseaux de passage » : A l’origine des cartels colombiens

LES OISEAUX DE PASSAGE Bande Annonce (Cannes 2018) Thriller
Durée : 02:19

L’histoire que conte Les Oiseaux de passage, que l’on devine être la genèse des cartels de la drogue en Colombie, s’étale sur deux décennies, du début des années 1970 à la fin des années 1980, autour d’une communauté indienne autochtone ; soit la chronique de la création d’un nouveau monde et la destruction d’un ancien.

La construction du récit en chapitres (de la naissance à la chute, en passant par la prospérité et la guerre) dessine une sorte de fatalité qui est aussi celle inscrite par les conventions d’un genre cinématographique, celui du film de gangsters, dont est respectée la courbe dramatique. Mais le film de Cristina Gallego et Ciro Guerra interroge par ailleurs cette fatalité, sans vouloir forcément la réduire à un déterminisme purement humain, en la confrontant aussi à une cosmogonie particulière. Le sujet du film n’est-il pas l’impossibilité de faire coïncider un ordre symbolique, celui qui guide la vie des Indiens wayuu (dont le non-respect entraîne la destruction de fonctionnements ancestraux) avec celui défini par la compétition et l’avidité ? Jean-François Rauger

« Les Oiseaux de passage », film mexicano-danois-colombien de Cristina Gallego et Ciro Guerra. Avec José Acosta, Carmina Martinez, Jhon Narvaes (2 h 01).

« Love, Cecil » : portrait d’un photographe esthète

Love, Cecil Trailer #1 (2018) | Movieclips Indie
Durée : 02:13

Photographe de mode et de guerre, illustrateur et chroniqueur, décorateur pour le cinéma (My Fair Lady, Gigi) et le théâtre : entre ses mille vies, le Britannique Cecil Beaton, mort en 1980, n’a pas choisi. Mais son regard, lui, est resté le même d’un bout à l’autre de sa carrière : élégant, excentrique, curieux et néanmoins toujours à distance du monde qu’il observait et photographiait.

Love, Cecil, de Lisa Immordino Vreeland permet de saisir toute l’ampleur de ce personnage semblant tout droit sorti de l’univers proustien, et immense artiste.

De ses portraits de Garbo à sa célèbre photo d’une enfant sur son lit d’hôpital après le Blitz, qui alerta l’opinion de l’époque, le regard de Beaton mêle distance et empathie, vérité et stylisation. Preuve de sa réussite, Love, Cecil nous permet finalement d’accéder à la vérité des grands photographes : en photographiant les autres, Beaton a livré en creux un splendide autoportrait. Murielle Joudet

« Love, Cecil », documentaire américain de Lisa Immordino Vreeland (1 h 39).

« Genèse » : un film ample et délicat sur les premiers amours

Genèse (Philippe Lesage) - Bande annonce
Durée : 02:02

A force de filmer des adolescents s’ouvrant à l’amour, le jeune cinéma d’auteur international a fini par essorer ce lexique des « premières fois » qui faisait pourtant tout le sel du récit initiatique. Que faire aujourd’hui d’un sujet ainsi usé jusqu’à la corde, sinon tenter de remonter à la source des émotions et sensations auxquelles il puise ?

C’est précisément ce à quoi s’emploie Philippe Lesage, cinéaste québécois intéressé par la jeunesse et ses tourments (Les Démons, 2015), avec un septième long-métrage ample et fuselé, qui vise moins à refonder la fiction adolescente qu’à creuser en elle d’autres lignes de fuite, d’autres perspectives sensibles.

Le film rend sensible tout l’inconscient social qui pèse sur les relations amoureuses. D’une part, un certain héritage religieux et puritain qui organise, au sein des institutions encadrant la jeunesse, une non-mixité entre les sexes contribuant à les rendre étrangers l’un à l’autre. De l’autre, un effacement complet des adultes, soit absents (les parents toujours hors champ de Charlotte et Guillaume), soit incarnant une loi inflexible ou un danger potentiel. Dans ce monde semé d’entraves, les fleurs les plus fragiles du sentiment sont aussi les plus fréquemment foulées au pied. Mathieu Macheret

« Genèse », film québécois de Philippe Lesage. Avec Noée Abita, Théodore Pellerin, Edouard Tremblay-Grenier (2 h 10).

« Intégrale Fellini » : ultra-lucide extravagance

C'était quoi Federico Fellini ? - Blow Up - ARTE
Durée : 18:09

Revoir Fellini aujourd’hui n’a rien de superflu, tant cette œuvre unanimement célébrée a pu se laisser enfermer avec le temps dans une image un peu réductrice.

Avec ses films-mondes turbulents et remplis à ras bord (La Dolce Vita, Amarcord), ses parades de créatures grotesques ou voluptueuses (Satyricon, Et vogue le navire…), ses talents d’illusionniste et de caricaturiste (il fit ses débuts dans le dessin de presse), Fellini reste pour la plupart un artiste visionnaire, projetant ses fantaisies oniriques sur grand écran.

Or, ce Fellini-là fait un peu d’ombre au grand cinéaste moderne qu’il était avant tout, inventeur d’une puissante subjectivité, en prise directe avec le tumulte et la confusion de la société médiatique, qu’il vit naître et se développer dans l’Italie du miracle économique jusqu’à la fin des années 1980. Ma. Mt

Rétrospective Federico Fellini. Du 3 avril au 27 mai à la Cinémathèque française.

Sorties en salle : « Les Clowns » (1970) et « Répétition d’orchestre » (1979), films italiens, français et allemands de Federico Fellini (1 h 32 et 1 h 10).