« Ça a été le vide absolu, total ! » Edouard Philippe vient à peine de terminer sa déclaration sur la restitution du grand débat à l’Assemblée nationale que Marine Le Pen est déjà, mardi 9 avril, devant les caméras de la salle des Quatre-Colonnes. « Il n’y a pas une proposition, pas une piste, pas une vision ! », enrage la députée du Rassemblement national (RN) résumant ce que beaucoup dans l’opposition pensaient mardi après-midi, après le discours du chef du gouvernement.

Encore une fois, le premier ministre a été contraint de tirer le bilan du grand débat sans en dessiner le rebond. « Cantonné au rôle de chauffeur de salle avant d’assurer le service après-vente », a fustigé le député La France insoumise (LFI) Eric Coquerel. Pendant près de trois heures, M. Philippe et une grande partie du gouvernement ont vu défiler à la tribune des députés de l’opposition s’impatientant du faux plat d’après grand débat. « Le président de la République présentera prochainement ses orientations », a rappelé Edouard Philippe, promettant des décisions « puissantes et concrètes ». « Il est grand temps que les ministres se taisent et que le président de la République parle ! », a asséné le député UDI Jean-Christophe Lagarde.

Les députés ont donc une nouvelle fois fait le procès du grand débat qui s’achève. Un « débat tronqué », selon le communiste André Chassaigne, rappelant les critiques de Chantal Jouanno et les avertissements des personnalités désignées pour être les garants de l’exercice sur les « interférences » de l’exécutif dans le débat. « Dès le départ, les questions [posées dans le débat] étaient binaires et bidonnées », s’est indigné M. Coquerel. « Que dire aussi de votre décision de réduire le champ du débat à quatre thèmes ? Des sujets majeurs de préoccupation des Français ont été mis sous le tapis », a ajouté le patron des députés Les Républicains (LR), Christian Jacob, citant la sécurité, le pacte républicain ou l’immigration.

« Deconnexion totale »

Les leçons que l’exécutif a commencé à tirer du grand débat ont fait bondir la gauche. « Sortir de ce grand débat sans vision pour la France (…) en réduisant la pensée politique à des punchlines du type “tolérance fiscale zéro” ne me paraît pas être à la hauteur de notre histoire et de ce que nous sommes », a critiqué la socialiste Valérie Rabault citant une expression du premier ministre.

« La déconnexion est totale avec les revendications de notre peuple. Il dit “justice fiscale”, vous entendez “baisse des impôts”, il réclame de la “solidarité nationale”, vous entendez “baisse des dépenses publiques”. C’est proprement à désespérer… », ajoutait André Chassaigne. « Vous êtes sourd de l’oreille gauche », a diagnostiqué le député LFI François Ruffin, citant notamment l’absence des demandes de rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune. Les élus LR ont, eux aussi, placé leurs lignes rouges. « La proportionnelle n’est pas ce dont la France a besoin. Elle a besoin de députés enracinés réellement au contact des citoyens, dans des circonscriptions à taille humaine », a prévenu M. Jacob, dans une intervention d’une particulière virulence. Le député de Seine-et-Marne a dénoncé un « nouveau monde » macroniste « blessant, hautain et condescendant » et « un président gonflé de vanité et de morgue ».

In fine, tous pointent un même spectre, celui de la déception. « Le grand débat, ce peut-être comme de la morphine, au début cela soulage (…). Mais quand on l’arrête, cela peut être très dépressif si le malade n’est pas soigné », martèle Jean-Christophe Lagarde. Marine Le Pen surprend même en citant à la tribune la fameuse réplique du film La Haine qui, selon elle, « résume assez bien la situation ». « C’est l’histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de cinquante étages. Le mec au fur et à mesure de sa chute, il se répète sans cesse pour se rassurer “jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien”. Mais l’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage. »