« Roblox, c’est une institution à la maison ! » Didier Dinard a 39 ans. Il est le père de trois enfants de respectivement 10, 7 et 4 ans. Tous les trois sont tombés les uns après les autres dans cette plate-forme Internet regorgeant de jeux vidéo pour enfants, conçus par la communauté. « Ils ont commencé parce qu’une nounou avait Roblox sur son téléphone, elle l’a montré à la grande, qui s’est mise à jouer, puis l’a ensuite montré à ses petits frères, et c’était parti. »

Comme eux, ils sont aujourd’hui 90 millions à s’amuser chaque mois sur cette plate-forme américaine aux petits airs de YouTube ludique, selon les chiffres de la compagnie, qui entend bien continuer à recruter. Pour la première fois depuis sa création en 2014, la plate-forme a été entièrement traduite en français (ainsi qu’en allemand), en avril. Une manière d’enlever la barrière linguistique de l’anglais et de se développer en Europe, actuellement le second marché de la plate-forme derrière l’Amérique du Nord.

Créer son personnage et l’incarner gratuitement dans les jeux produits par la communauté : la promesse de Roblox. / Capture d'écran

Du logiciel de physique au bac à sable ludique

L’idée de Roblox est née en 2004. A son origine, David Baszucki, un ingénieur et entrepreneur américain spécialiste des programmes interactifs de vulgarisation de la physique. « Il s’est rendu compte que ce qui intéressait le plus les enfants, c’était de jouer avec les possibilités ouvertes par ces programmes », relate Chris Misner, PDG de Roblox International. En 2004, il lance Dynablocks, une sorte de jeu de Lego en 3D rudimentaire, qui sert de prototype au Roblox que l’on connaît.

DynaBlocks.beta
Durée : 01:30

Peu médiatique, Roblox se fait rapidement une place sur Internet grâce à une fonctionnalité dans l’air du temps : la possibilité pour les utilisateurs de créer leur propre petit jeu sommaire et de le mettre à la disposition des autres usagers. Sur le même principe que MySpace, Facebook ou YouTube, Roblox est basé sur la collaboration et l’échange de contenu.

« Aujourd’hui, ce qui fait le succès d’un service, ce n’est plus ce qu’on y consomme, mais ce que l’on y produit, c’est ce qui a fait la popularité de Minecraft et Roblox », soulignait, en novembre 2017, Joost van Dreunen, fondateur de la société d’analyse Super Data, lors d’une conférence à Paris. Cette année-là, Roblox Corp. était déjà, avait-il calculé, le troisième éditeur de jeux vidéo le plus populaire sur YouTube, avec plus de 90 millions de spectateurs uniques sur une semaine, seulement devancé par les géants Tencent (Ligue of Legends) et Microsoft (Minecraft).

Roblox a réuni plus de 90 millions de spectateurs sur YouTube en une seule semaine, en août 2017. / SuperData

« C’est stable, on ne le voit pas mourir, il marche et continue de bien marcher », observe Raphaël, 27 ans, alias Darkheaven sur une chaîne YouTube spécialisée dans Roblox, Azndark Production. Il évoque même une « explosion » du nombre de vidéos il y a un an sur le YouTube francophone.

Coffre à jouets vidéo

Malgré la frontière de la langue, de nombreux Français connaissent déjà Roblox. Massu, 18 ans, a fait sa découverte dès 2009, un peu par hasard. « A l’époque, j’étais fan du dessin animé Beyblade, je cherchais un jeu flash Beyblade sur Internet, il y en avait un sur Roblox, et voilà ! » Les hommages libres à des séries populaires y sont, en effet, très communs. De plus, Roblox est particulièrement commode pour un geek en culottes courtes : rondelet, gratuit d’accès, peu gourmand, il ne demande aucun équipement spécial, aucun cadeau de la part du Père Noël. « Ça a un peu été ma première machine de jeu », relate Massu.

Le catalogue des jeux populaires en avril 2019.

L’abondant catalogue regorge de productions souvent simplistes, partageant une esthétique cubique très reconnaissable, et il faut rarement plus d’une ou deux heures pour en faire le tour. A 10 ans, Inès joue ainsi à des jeux de gestion de parc d’attractions, ou depuis peu, à un jeu d’enquête dans laquelle elle peut collaborer avec ses frères, chacun se connectant depuis un appareil différent.

L’une des originalités du service est notamment de permettre à des enfants de partager une partie en même temps, y compris s’ils sont à l’autre bout de la planète. « Si vous pensez à Temple Thieves, un jeu français dans lequel vous traversez un temple avec trois autres joueurs en temps réel, l’un a une Xbox, l’autre un PC, un Android, c’est très compliqué à mettre en place techniquement pour l’entreprise. Mais nous aimons les challenges ! », s’amuse Chis Misner.

Marchepied pour les créateurs en herbe

Et puis, surtout, Roblox permet à l’enfant de se transformer en apprenti développeur, grâce à une interface graphique très imagée, à défaut d’être vraiment instinctive. « Quand ma grande a compris qu’elle pouvait créer son jeu, elle m’a fait installer l’éditeur et a conçu le truc le plus simple qui soit, un jeu d’obstacle à traverser, narre Didier Nizard. Puis elle l’a publié, et elle était très fière, ses frères pouvaient jouer à sa création ! »

Roblox Studio, le logiciel de création de jeu, demande de la patience et de la pratique pour être maîtrisé. (En tout cas, nous, on est nuls.) / Capture d'écran

Massu, lui, s’y est mis grâce à la carotte agitée par Roblox : pour personnaliser son personnage, acheter certains jeux ou débloquer des bonus, la plate-forme utilise, en effet, une monnaie virtuelle, les Roblux. Pour en acquérir, deux solutions : sortir la carte bleue (coucou les parents), ou s’inscrire comme créateur. En 2018, après un an de tâtonnement, il lance ainsi Runners’Path, un jeu de parkour – une course acrobatique dans un cadre urbain – ouvertement inspiré du jeu vidéo à grand budget Mirror’s Edge.

Runners' Path - Roblox
Durée : 14:24

Les louveteaux de Wall Street

En passant côté producteurs, les utilisateurs de Roblox découvrent un nouveau monde, où règnent course à l’audience et soif de Roblux trébuchants. « En moyenne, mon jeu a été joué par cinq cents joueurs différents par jour, et il y a eu huit millions de clics sur le bouton “Play “», énumère ainsi Massu, qui estime avoir gagné quelque 4 000 euros en un an, grâce aux microtransactions.

Selon les chiffres de l’entreprise, l’ensemble des créateurs européens ont gagné 18 millions de dollars (soit 16 millions d’euros) en 2018. « Certains utilisateurs sont désormais à l’université et gagnent leur vie grâce aux productions qu’ils ont créées, et je suis sûr qu’il y en a plein qui travaillent désormais dans l’industrie du jeu vidéo », se félicite Chris Misner.

ROBLOX [FR] - Mon Premier Rollercoaster - Theme Park Tycoon 2
Durée : 26:52

A la manière de YouTube ou de Minecraft, Roblox devient un grand bazar à productions, des plus rudimentaires et rococo aux plus raffinées. Pour quelques poignées de Roblux, certains créateurs font toutefois preuve de cynisme en allant aux productions les plus faciles, les plus addictives pour des enfants. Ainsi des nombreux « cookies clickers », des titres simplistes reposant sur une interaction répétitive et gratifiante. La plate-forme est également sujette aux modes, à l’image des récents « battle royale » inspirés du célèbre Fortnite.

Le spectre des prédateurs

Roblox n’a pas toujours bonne réputation. Depuis plus de dix ans, elle est réputée attirer les prédateurs sexuels. Une affirmation « non prouvée », selon le site de vérification Snopes, mais qui a la vie dure, alimentée par de nombreuses vidéos YouTube de dialogues ou de comportements virtuels inadaptés, ou de prétendues expérimentations sociales déplacées. « Cela reste des on-dit, mais il y a un fait : ce ne sont que des enfants, et beaucoup de jeunes qui sont très innocents, disent bonjour, donnent leurs coordonnées, etc. », recontextualise Raphaël, qui s’est déjà fait pirater deux fois son compte.

De nombreuses vidéos YouTube rapportent des dialogues à connotation sexuelle, qu’ils soient l’oeuvre d’internautes provocateurs ou d’authentiques prédateurs. / RioT_eCLip3e

Conscient de cette réputation, Roblox s’est mis en conformité en 2009 avec le Children’s Online Privacy Protection Act, de 1998, une loi américaine de protection de l’enfance sur Internet, en introduisant la possibilité pour les parents de désactiver le logiciel de tchat. Aujourd’hui, elle met également en avant sa collaboration avec des associations européennes spécialisées, comme e-Enfance en France.

Joint par Le Monde, Samuel Comblez, son directeur des opérations, se montre rassurant : « Ce n’est pas un lieu de haute criminalité. Je ne dirais pas que ce soit le site le plus exposé, je citerais davantage Tik Tok et les sites de rencontres pour adolescents ou le site MovieStar Planet. » Mais la plate-forme n’est pas encore très implantée en France, précise-t-il, expliquant que les lignes d’écoute de son association sont peu sollicitées sur ce sujet.

Créateur de vocations

Les qualités de la plate-forme sont, par ailleurs, reconnues. Didier Nizard, tout en se disant très vigilant, souligne les points positifs dans l’éveil de sa fille de 10 ans. « Ça lui a fait un premier contact avec des notions de game design, quelque chose que l’on voit aussi dans Minecraft. Je trouve cela assez intéressant, même si on est sur du ludique, coopératif, il n’y a pas vraiment d’impact scolaire. »

Pour Massu, qui est aujourd’hui inscrit en BTS Informatique et réseau, il ne fait aucun doute que ses dix années sur Roblox et surtout son expérience de créateur ont été bénéfiques. « Dans mes études, j’ai plus de capacités que d’autres, que ce soit en programmation ou en modélisation. Et surtout en anglais, que j’ai vraiment appris sur Roblox », se félicite-t-il. Ironiquement, avec son passage au français, les nouveaux inscrits perdront le bénéfice de l’apprentissage de la langue.