La première ministre Theresa May quitte la conférence de presse à l’issue du Conseil européen extraordinaire du 11 avril, à Bruxelles. / SUSANA VERA / REUTERS

Initialement prévu le 29 mars, puis le 12 avril, le Brexit devrait finalement avoir lieu le 31 octobre. Ainsi l’ont décidé les vingt-huit dirigeants de l’Union européenne, le 10 avril, au terme d’un Conseil extraordinaire à Bruxelles. Si, toutefois, le gouvernement britannique parvenait à faire ratifier le traité du divorce dans les semaines ou mois à venir, et avant la fin octobre, le Brexit serait effectif le premier jour du mois suivant cette ratification.

S’il fait toujours partie de l’UE, le royaume sera tenu d’organiser le scrutin des élections européennes, du 23 au 26 mai. Dans le cas contraire, sa sortie de l’Union serait effective au 1er juin dans le cadre d’un « no deal ». Ayant majoritairement exclu l’hypothèse du « no deal », l’Europe à Vingt-Sept semble aujourd’hui autant dans l’impasse que le gouvernement britannique.

Vovo : Quels sont les différents scénarios de Theresa May pour faire valider son accord avec l’UE d’ici au 22 mai ? Le plus probable est-il avec le Labour ou un mixte Labour-conservateurs ?

Philippe Bernard : Les chances d’une ratification de l’accord Brexit d’ici au 22 mai sont minces. Il me semble que les discussions avec le Labour – que Mme May refusait obstinément depuis trois ans – ont surtout été lancées pour donner un argument à Mme May pour obtenir de l’UE un nouveau report du divorce. Aucun des protagonistes n’a intérêt à réussir. Le Labour veut faire avancer sa revendication d’un maintien du Royaume-Uni dans une union douanière. Mais si Mme May accepte cela, elle fait exploser son parti car l’union douanière empêcherait le pays de mener une politique autonome de commerce extérieur promise par les partisans du Brexit.

Quant à Jeremy Corbyn, il n’a nulle envie de faire la courte échelle à la première ministre. La seule chance de ratification serait devant le parlement lorsque différentes options de Brexit lui seront soumises. Un Brexit modéré (avec maintien dans l’union douanière) pourrait remporter une majorité. Mme May s’est engagée à respecter le vote des députés. La proximité des élections européennes (mauvais sondages pour les conservateurs) pourrait aider ce vote.

Christophe : Le Royaume-Uni est-il tenu de payer les 50 milliards d’euros ?

Philippe Bernard : Les Britanniques se sont engagés à payer leur « ardoise » à l’UE dans le cadre de « l’accord de retrait » conclu avec Theresa May le 25 novembre. C’est précisément ce texte qu’elle ne parvient pas à faire approuver par les députés. Mais pour l’heure, la question ne se pose pas puisque le Royaume-Uni demeure dans l’UE et continue d’y contribuer. C’est l’une des choses qui fait enrager les partisans du Brexit.

Guillaume : Comment les élections européennes vont-elles se dérouler ? Le Royaume-Uni va-t-il réellement élire des représentants ? Et, dans ce cas, comment la répartition des sièges s’effectuera-t-elle, car les sièges britanniques avaient déjà été redistribués en partie ?

Philippe Bernard : Les élections européennes sont désormais programmées pour le jeudi 23 mai au Royaume-Uni. Mais Theresa May peut y renoncer jusqu’au dernier moment. Ce sera le cas si elle parvient à faire valider par les députés l’accord de retrait. Le divorce serait alors effectif et les élections européennes n’auraient plus de justification.

Dans ce cas, les sièges seront répartis entre les vingt-sept autres membres de l’UE. Si l’accord de sortie n’est pas validé par les députés, les élections européennes auront lieu et les sièges répartis entre les vingt-huit Etats. Le sommet européen d’hier soir a prévu que si Mme May n’organisait pas les élections alors qu’elle reste dans l’UE, la sortie sans accord (« no deal ») serait immédiatement activée.

Cricri : Le Royaume-Uni va devoir organiser des élections pour le scrutin des européennes s’ils sont encore dans l’UE. Est-il possible qu’il n’y ait aucun député qui se présente et que le scrutin soit boycotté ?

Philippe Bernard : Non. Les partis politiques sont en train de sélectionner les candidats. Même si la tenue de ce scrutin dans un pays censé quitter l’UE fait figure d’aberration, on assiste à un début d’intérêt. Les Britanniques anti-Brexit (6 millions sur une pétition et un million de manifestants à Londres le 23 mars) se mobilisent pour transformer le scrutin européen en une sorte de référendum sur le Brexit. A l’autre bout du spectre politique, l’extrême droite s’agite également autour de Nigel Farage, ex-leader du UKIP désormais à la tête d’un Parti du Brexit.

FBO : Quelles sont maintenant les chances de survie politique de Theresa May ?

Philippe Bernard : A première vue elles sont faibles car le Brexit est triplement dans l’impasse : les députés refusent son accord, le Parlement a pris le pouvoir mais n’aboutit à rien et Mme May fait mine de tendre la main au Labour sans céder sur ses « lignes rouges ». Le parti conservateur bruisse d’ailleurs de rumeurs de complot et les candidats à la succession ne se cachent plus. Mais cette situation dure depuis des mois et Mme May est toujours là. Elle peut donc survivre encore des mois car il n’existe pas de consensus sur un(e) successeur(e). Chacun voit aussi que son remplacement ne réglerait rien.

Nicolas B : Pensez-vous que Macron a bien fait de « se mettre à dos » les autres Vingt-Six pour avoir un report moins important ?

Philippe Bernard : Non, je pense que l’attitude de Macron revient à afficher la désunion des Vingt-Sept alors que l’unité avait été parfaite depuis trois ans. Ce n’est pas cohérent avec la prétention à défendre l’unité de l’UE pour la faire avance. Certains propos du président ont pu être jugés humiliants par les Britanniques et je ne pense pas que la France ait intérêt à cela. Afficher son exaspération – partagée par la plupart des Britanniques – ne tient pas lieu de stratégie. Jouer sur le vieux fond d’anglophobie qui existe en France non plus. Je ne vois pas non plus en quoi le fait de « malmener » les Britanniques est une réponse aux arguments de l’extrême droite française contre l’UE dans le débat des élections européennes.

Archibald : Le président Macron était-il si isolé lors du sommet d’hier ? Quels autres pays étaient sur sa ligne ? Quelles conséquences pour sa politique de « renaissance européenne » ?

Philippe Bernard : Si, l’isolement d’Emmanuel Macron (seulement rejoint par l’Espagne et la Belgique) était patent. Le désaccord franco-allemand, généralement réservé aux coulisses, s’est étalé. Le président cherche sans doute à séduire certains électeurs français favorables à la fermeté à l’égard de la « perfide Albion » mais en affichant pour la première fois leur désaccord, les Vingt-Sept ont plutôt fait le jeu de Londres et surtout de ceux (Trump, Poutine) qui regardent avec délice la gangrène du Brexit gagner le continent.

Mariska : Il suffisait qu’une seule nation oppose son veto pour que la date ne soit pas repoussée. Pourquoi personne ne l’a fait ?

Philippe Bernard : Sans doute parce que cela aurait amené directement à une sortie sans accord des Britanniques. Ce qui veut dire retour des barrières douanières et catastrophe pour l’économie et l’emploi.

YoYuEl : Les revendications et les clivages parmi les Tories me semblent clairs. Mais quelles sont les revendications du Labour ? Quels sont les clivages internes au sein du Labour ?

Philippe Bernard : En fait, le Labour est aussi divisé que les Tories. Le parti est massivement anti Brexit mais il est dirigé par un « eurosceptique de gauche » qui s’en accommode. Certains députés travaillistes sont élus dans des circonscriptions – notamment ouvrières – où le vote pro-Brexit a été majoritaire. Ils tiennent à ce que la sortie au moins formelle de l’UE se réalise. Le Labour est aussi divisé sur la question du référendum. Plus de 80 % de ses adhérents y sont favorables, mais pas M. Corbyn, qui n’a pas participé à la grande manifestation anti-Brexit du 23 mars. Le Labour, comme les Tories, va devoir clarifier leurs positions si les élections européennes ont lieu au Royaume-Uni.

Yep : Comment imaginer que les partis britanniques et leurs représentants puissent mener une campagne électorale crédible pour les élections européennes ?

Philippe Bernard : Vous avez raison. On hésite entre Ubu et Kafka pour parler de ces élections. Elles sont vécues comme une humiliation au parti conservateur qui se veut le parti du Brexit. Le ministre (conservateur) de l’éducation, Nadhim Zahawi a déclaré que ce scrutin fait planer une « menace existentielle » sur le Parti conservateur et chacun s’attend à un vote sanction. Mais les opposants au Brexit sont décidés à transformer le vote en une sorte de référendum pour le maintien dans l’UE. Quant à l’extrême droite (qui était arrivée en tête de tous les partis lors des élections de 2014) elle est désormais divisée entre le UKIP (devenu un parti ouvertement xénophobe et anti-islam) et le nouveau Parti du Brexit fondé récemment par Nigel Farage.