France 3, jeudi 11 avril à 23 h 30, documentaire

Les crises profondes et complexes qui secouent régulièrement l’Union européenne peuvent-elles donner naissance à un programme télévisé haletant, façon thriller ? Après avoir visionné la première partie de ce documentaire scindé en deux (la suite, centrée sur les migrants, est programmée jeudi 18 avril), la réponse est affirmative. En prenant le temps de gagner la confiance de nombreux responsables européens et en étalant le tournage sur près de deux ans, la réalisatrice et productrice américaine Norma Percy, proche collaboratrice du documentariste britannique Brian Lapping – remarqué pour ses films sur l’Irlande, le conflit israélo-palestinien, la fin de la Yougoslavie –, parvient à faire d’une période de fortes turbulences (crise de l’Euro, désastre grec, vote sur le Brexit en juin 2016) un documentaire passionnant.

Pour la première fois face caméra, de hauts responsables généralement avares de confidences et soucieux de ne pas laisser filtrer leurs émotions se laissent – un peu – aller. Entendre l’austère Wolfgang Schaüble, ancien ministre allemand des finances, déclarer à propos de son homologue grec, Yanis Varoufakis : « Il a passé une demi-heure à nous expliquer que nous étions des idiots ! Il n’avait sans doute pas tort, mais on ne dit pas ça à des gens qui veulent vous aider… » vaut son pesant d’euros. Ou écouter le Polonais et président du Conseil européen, Donald Tusk, pas vraiment un comique non plus, se rappeler un entretien avec l’ex-premier ministre britannique David Cameron au cours duquel il lui asséna : « A cause de ton référendum, tu vas te retrouver dans une sacrée merde ! » permet d’instiller une dose d’humanité dans un univers technocratique.

Du Shakespeare dans l’UE

D’autres protagonistes comme l’Italien Matteo Renzi, le Grec Alexis Tsipras, les Français Nicolas Sarkozy et François Hollande, ou de proches conseillers de la chancelière Angela Merkel et de David Cameron, expriment des colères, des regrets, qui permettent de mieux comprendre les enjeux. Même Dominique Strauss-Kahn, ancien directeur général du Fonds monétaire international (FMI), y va de son souvenir : l’idée d’Angela Merkel d’obliger les banques privées à effacer une partie des dettes des pays de l’Union en crise était, selon lui, « stupide ». Une virée new-yorkaise devenue célèbre empêchera finalement DSK d’expliquer le fond de sa pensée à la chancelière…

Pour la première fois, de hauts responsables généralement avares de confidences et soucieux de ne pas laisser filtrer leurs émotions se laissent – un peu – aller

Alternant témoignages de premier plan et images d’archives explicites, Norma Percy et ses équipes parviennent à faire revivre les crises successives. Décisions de la Banque centrale européenne, marchés financiers rassurés puis de nouveau fébriles, montée des populismes, menaces, crises politiques, insultes, il y a du Shakespeare dans l’UE ! Et derrière les sourires de circonstance, l’épuisement dû aux nombreuses nuits blanches passées à essayer de convaincre un partenaire récalcitrant (grec un jour, italien un autre, britannique enfin) apparaît clairement à l’écran.

Cette première partie peut se résumer à deux référendums, l’un grec, l’autre britannique. Entre les deux, de multiples crises révèlent la fragilité de l’Union et les intérêts divergents de ses membres. Le film se termine avec la démission de David Cameron, en juillet 2016. Depuis, il s’en est passé des choses. De quoi continuer la tragi-comédie shakespearienne en Europe…

Europe, dans les coulisses d’une décennie de crise, de Norma Percy, Tania Rakhmanova et Tim Stirzaker, 1re partie (Fr., 2019, 75 min). www.france.tv/france-3