Des Ukrainiens manifestent à Paris pour demander la libération du cinéaste Oleg Sentsov. / Tifenn Clinkemaillié

A la sortie du métro, place de la République, trois jeunes filles s’immobilisent. Elles font face à des caméras et semblent prêtes à tourner un film. Autour d’elles, techniciens, ingénieurs du son et costumiers se sont aussi figés. Le clap reste suspendu dans les mains de l’assistante-réalisatrice, personne ne criera « action » pour lancer le début du tournage. Face à la scène, une chaise vide, celle du réalisateur. Quelques minutes passent et le plateau reprend vie pour dénoncer, panneaux à l’appui, la détention en Russie du réalisateur ukrainien Oleg Sentsov et de 70 autres prisonniers politiques.

A l’origine de cette action, organisée jeudi 11 avril place de la République, trente étudiants de l’Académie ukrainienne de leadership (ULA). Ils ont entre seize et dix-huit ans et ont souhaité, à l’occasion d’un voyage à Paris organisé par l’ULA, remettre la question sur le devant de la scène. Des manifestations du même type étaient prévues dans cinq autres villes européennes. Une manière pour eux de lutter contre l’oubli qui guette les prisonniers politiques ukrainiens et d’appeler à l’action les pouvoirs politiques français.

L’ULA, créée en 2015 avec le soutien d’un fonds financé par le gouvernement américain, propose des formations de dix mois aux jeunes bacheliers. Engagés politiquement, ces futurs ambassadeurs de l’Ukraine, comme ils se décrivent, ont choisi de mettre Oleg Sentsov, un cinéaste ukrainien originaire de Crimée, au cœur de leur action. Arrêté en mai 2014 par le Service fédéral de la sécurité (FSB) russe, il a été condamné à vingt ans de prison en août 2015 pour « terrorisme ». Aucune preuve de son supposé projet de détruire les locaux d’une organisation criméenne prorusse n’avait été présentée lors du procès du réalisateur, qui clame son innocence.

Informer les européens

La condamnation du cinéaste, connu pour son film Gamer, sorti en juillet 2011, avait bousculé l’opinion jusque dans les milieux culturels russes. Oleg Sentsov avait notamment reçu le soutien de personnalités comme Johnny Depp et Stephen King. En mai 2018, le réalisateur avait de nouveau interpellé l’opinion publique en débutant une grève de la faim pour réclamer la libération des prisonniers politiques ukrainiens. Après avoir perdu plus de trente kilos et alors qu’il risquait d’être nourri de force, Oleg Sentsov s’était vu contraint d’abandonner son action le 6 octobre 2018.

« Beaucoup de Français sont au courant qu’il y a eu une guerre mais ils ne savent pas qu’il y en a toujours une », Olena Bondar, une Ukrainienne vivant à Paris

La fin du mondial en Russie et l’échec des négociations sur un éventuel échange de prisonniers entre Moscou et Kiev avaient fini de détourner les projecteurs de sa situation. La diplomatie française s’était montrée particulièrement active dans le dossier, Emmanuel Macron évoquant à plusieurs reprises le cas de Sentsov, directement avec Vladimir Poutine. Ces démarches s’étaient heurtées à un mur, côté russe. Depuis que la santé du cinéaste n’est plus menacée, l’affaire a disparu de l’ordre du jour.

« Organiser une manifestation est un moyen pour nous de rappeler aux Européens que s’ils vivent dans un pays pacifique, à seulement deux heures d’avion il y a un pays en guerre », note Yarema Dukh, responsable de la communication pour l’ULA. Un sentiment partagé par Olena Bondar, une Ukrainienne de 27 ans installée à Paris, qui a tenu à être présente : « Beaucoup de Français sont au courant qu’il y a eu une guerre mais ils ne savent pas qu’il y en a toujours une, c’est pour moi important d’en parler à mes amis en France. » « Ce n’est pas une action qui va le libérer mais il faut maintenir la pression sur les politiques et montrer qu’il y a toujours un intérêt, ces gens sont toujours en prison, maltraités et torturés », résume Anna Garmash, présidente d’Ukraine action, association qui organise régulièrement des manifestations en soutien à Oleg Sentsov.

Lutte pour les droits humains

Photo d’Oleg Sentsov diffusée par les services pénitentiaires russes, datée du 29 septembre 2018. / HO / AFP

Ivan Zalohih, étudiant à l’ULA, soulève fièrement son pull-over gris. Dessous, il porte un tee-shirt rouge affichant le slogan : I am Ukraine, I love freedom (« Je suis l’Ukraine, j’aime la liberté »). Le jeune homme de 18 ans se veut optimiste : « C’est avec des petits pas que l’on peut régler le problème. Dans tous les cas en tant qu’être humain je me sens responsable de toutes les personnes qui ne sont pas autant en sécurité que moi. » Ostap Mamonov, 17 ans, insiste quant à lui sur le sort des autres prisonniers politiques : « Oleg Sentsov est plus connu que les autres mais il s’agit de rappeler que c’est avant tout une question de droits humains, nous sommes tous responsables. »

Aujourd’hui, selon Kiev, 70 autres Ukrainiens, principalement originaires de Crimée, sont encore détenus par la Russie. Loin de penser la mobilisation vaine, Valeriia Kasiar, 18 ans, critique la stratégie de Moscou : « Quand Oleg Sentsov a été arrêté il n’était pas si connu, aujourd’hui il y a tellement d’attention sur lui, je pense que la Russie fait une énorme erreur en le retenant prisonnier. »