L’apport de Mendes (à gauche sur la photo, ici contre Reims) ne se ressent pas dans les statistiques. Mais ce n’est pas tout à fait un hasard si Lille a perdu les deux rencontres de championnat qu’il a ratées. / FRANCOIS NASCIMBENI / AFP

C’est une histoire qui mélange beauté du jeu et bilans comptables, plans à long terme et hasards du quotidien. Un parcours qui, de moments de doutes en moment de grâce, symbolise l’évolution de Lille, passé en un an des tréfonds du championnat de France de football à la deuxième place, dauphin d’un PSG qui sera affronté dimanche 14 avril. Une évidence née d’un malentendu : Thiago Mendes, patron du milieu de terrain lillois, avait toutes les raisons de ne pas disputer la saison dans le Nord.

Dans cette version footballistique de l’effet papillon, le premier battement d’aile est venu de Gabriel. Ce défenseur central, acheté au club d’Avai le 31 janvier 2017 alors qu’il n’a que 19 ans, fait partie de la première vague de recrues de l’ère Gérard Lopez. Ce jour-là, le dernier du mercato hivernal, le nouveau propriétaire du LOSC fait venir sept joueurs de 23 ans et moins. Trop tendre, le Brésilien ne s’impose pas et part en prêt. C’est un échec : une titularisation avec Troyes, une autre avec le Dinamo Zagreb et un retour à Lille à l’été 2018.

C’est là que son destin et celui de Thiago Mendes se croisent. Son compatriote, arrivé six mois plus tard, vient lui aussi de vivre une saison compliquée. Lent à se faire à la vie en Europe, gêné par des problèmes physiques, il est testé partout sur le terrain par son entraîneur. « J’ai mis pas mal de temps pour savoir à quel poste il pouvait être le plus utile, il a été trimballé en 10, en sentinelle et même déplacé sur le côté », rappelle Christophe Galtier.

Un début dans l’entrejeu par défaut

Prometteur lors de ses premières sorties, l’intéressé ne dévoile ensuite son immense talent que quand il en a envie, c’est-à-dire pas souvent. A l’approche du nouvel exercice, le coach le met sur le banc et aligne la paire Thiago Maia-Xeka lors des matches de préparation.

Le retour de Gabriel, a priori anecdotique, pose cependant un problème réglementaire : si les clubs de Ligue 1 ont droit à quatre joueurs extracommunautaires, il fait passer le compte à cinq. Dans ce cas rarissime, la règle prévoit que le dernier à avoir signé son contrat ne peut être aligné. Le malheureux se nomme Maia, et c’est Mendes qui débute la saison dans l’entrejeu. Par défaut, tant la page semble (déjà) tournée.

Lille bat Rennes 3-1 et le milieu de terrain convainc. Prêté au Celta Vigo trois jours plus tard, le Paraguayen Junior Alonso permet de régulariser le problème des extracommunautaires. Trop tard. « Thiago Maia a été victime d’une situation administrative et Mendes a sauté sur l’occasion, constate Galtier. Comme j’étais satisfait du duo Xeka-Mendes, j’ai décidé de continuer avec cette paire. »

Formule gagnante

Trouvée presque par hasard alors que le club cherchait une porte de sortie au milieu de terrain, la formule est gagnante. Titularisé 29 fois et seulement absent pour cause de suspension, Thiago Mendes n’a plus jamais pris place sur le banc depuis.

Aux côtés du Portugais Xeka, plus dur sur l’homme – recordman d’avertissements en L1 – mais moins sûr techniquement, il forme une paire lusophone complémentaire. Une courroie de transmission si efficace qu’elle est ciblée par les adversaires, avec plus ou moins de réussite.

« Notre plan de bataille était simple : anéantir la source lilloise, c’est-à-dire le duo Mendes-Xeka. Ce sont eux qui mènent les débats », avait par exemple expliqué le coach rémois David Guion en décembre 2018, lors d’un match sur le terrain du LOSC conclu sur un score de 1-1.

L’apport de Mendes (3 passes décisives dont 2 sur corner, 0 but) ne se ressent pas dans les statistiques. Mais ce n’est pas tout à fait un hasard si Lille a perdu les deux rencontres de championnat qu’il a ratées. Ni si le Paris-Saint-Germain, qui sera l’adversaire du LOSC dimanche 14 avril, s’est penché de près sur son cas cet hiver.

Sur le départ cet hiver

Car, dans sa quête du milieu de terrain idéal lors des dernières heures du mercato, le club de la capitale avait ciblé deux noms : Idrissa Gueye, désormais à Everton après avoir découvert le monde professionnel à Lille, et Thiago Mendes. Deux profils différents, le premier étant beaucoup plus défensif.

Finalement aucun transfert ne se fera, Thomas Tuchel ne validant pas l’arrivée du Brésilien. « Je profite pleinement de la présence de Thiago, même si ça m’aurait fait plaisir qu’il aille au PSG. Paris, cela ne se refuse pas », avait alors réagi Christophe Galtier.

Etre prêt à vendre un joueur clé mais se satisfaire qu’il reste : voilà tout le paradoxe du LOSC, obligé de trouver un moyen d’équilibrer ses comptes en restant compétitif. Et pour qui l’incertitude s’est prolongée en février, mois où les clubs russes et chinois, assez chauds sur le dossier, pouvaient encore recruter.

Réaction du principal intéressé : « Cela n’a pas été tous les jours facile, on peut être dans un endroit et ailleurs le lendemain mais, après avoir discuté avec ma famille, j’ai décidé de laisser au club et à mes agents ces problèmes qui ne concernent pas le terrain ».

Valeur marchande au plus haut

« Il fait une saison pleine mais il a été un peu moins bien ces derniers temps, ajoute Christophe Galtier. Automatiquement, le mercato a engendré de la réflexion, moins de concentration et une fatigue supplémentaire. Cela l’a rendu légèrement moins performant. »

Un match réussi face à Nantes fin mars (3-2) a rappelé ce qu’il pouvait faire. Le suivant, à Reims le 7 avril (1-1), a, lui, servi de contraste : tandis qu’il menait le jeu, Maia, concurrent du début de saison (et plus gros transfert de l’histoire du club) exceptionnellement aligné à ses côtés en raison d’une blessure de Xeka, ratait tout ce qu’il entreprenait.

A 27 ans, Thiago Mendes est au pic de sa carrière. Sa valeur marchande est au plus haut. Acheté 9 millions d’euros, il en vaut aujourd’hui 25, une plus-value qui légitimerait le projet d’achat-revente du club nordiste. A condition de bien le remplacer et de savoir être patient. Car son histoire prouve que même les bonnes affaires ne payent pas toujours immédiatement.

Christophe Kuchly