Le président soudanais Omar Al-Bachir, à Charm El-Cheikh, en Egypte, le 19 janvier 2011. / AMR AHMAD / AFP

Il y a bien ceux qui imaginent installer Omar Al-Bachir, le président soudanais déchu, dans la cellule qu’occupait l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, libéré en février. Mais l’affaire est loin d’être faite et la prudence reste de mise à la Cour pénale internationale (CPI). Dix ans déjà que les juges attendent l’arrestation et l’arrivée à La Haye de cet homme accusé de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre – des exactions commises au Darfour depuis 2002 et le début de la guerre civile qui a opposé le régime de Khartoum à une rébellion.

A l’heure actuelle, le conseil militaire de transition qui s’est emparé du pouvoir, jeudi 11 avril, ne tranche pas vraiment avec le régime de Bachir, et l’option d’une coopération volontaire de Khartoum avec la CPI paraît peu probable. « Pour qu’il soit livré à la CPI, il faudrait que les responsables politiques et militaires qui ont pris le contrôle du Soudan y voient un intérêt. D’abord qu’ils veuillent qu’Omar Al-Bachir quitte le pays, mais surtout qu’ils souhaitent qu’il se retrouve devant la CPI, estime Mark Kersten, chercheur à la Munk School of Global Affairs, à Totonto. Pour satisfaire à la seconde condition, il faudrait qu’un ou plusieurs Etats s’opposent à un éventuel exil en Arabie saoudite ou ailleurs, demandent qu’il soit envoyé à La Haye et conditionnent cela à des investissements futurs ou à une réduction des sanctions. » C’est ainsi que le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie avait pu faire tomber l’ancien président serbe Slobodan Milosevic et d’autres dans ses filets.

La stabilité avant la justice

Depuis l’émission des mandats d’arrêt contre Omar Al-Bachir, en 2009 et 2010, aucun Etat n’a coopéré avec la CPI pour favoriser son arrestation. Ni ses 123 Etats membres, ni le Conseil de sécurité des Nations unies. C’est pourtant lui qui l’avait saisie, en 2006, pour les crimes commis au Darfour, dans l’ouest du Soudan, où la guerre aurait fait, selon l’ONU, près de 300 000 morts. Lors de l’émission des mandats d’arrêt, l’Union africaine s’était mobilisée contre la Cour, lui reprochant de se plier aux volontés des Occidentaux, désireux d’imposer un changement de régime.

Pendant dix ans, le président soudanais a pu effectuer près de 150 déplacements à l’étranger sans être inquiété. Tout au plus devait-il, avant chaque voyage, s’assurer de son immunité auprès des différentes capitales, souvent embarrassées par ces visites auxquelles des ONG donnaient un large écho. D’autant que les Etats membres de la CPI, à ce titre coupables de non-coopération, devaient ensuite s’en expliquer devant les juges à La Haye. Pour justifier leur hospitalité, les pays frontaliers du Soudan évoquaient volontiers leurs relations bilatérales et l’importance, pour eux, de privilégier la stabilité régionale à la justice. Des responsables des Nations unies eux-mêmes ont été épinglés par des ONG pour leurs poignées de main avec les différents responsables soudanais poursuivis par la Cour, dont Omar Al-Bachir.

En fait, personne, pas même les Européens, qui tous adhèrent à la CPI, n’a voulu payer le prix diplomatique de l’arrestation d’un chef d’Etat en exercice. En revanche, certains ont dû s’acquitter du prix politique du refus de coopérer avec la CPI, comme le gouvernement de Jacob Zuma, en 2015. A la demande d’une ONG, des juges sud-africains avaient en effet envisagé d’ordonner l’arrestation d’Omar Al-Bachir, alors en visite. Il avait dû être exfiltré du pays pour échapper aux juges. L’Afrique du Sud avait alors été sommée de s’expliquer devant la Cour, qui avait estimé « futile » de renvoyer la question au Conseil de sécurité, tout en dénonçant son « silence ».

L’enquête reste ouverte

Cet épisode sud-africain avait permis à la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, d’exhumer le dossier Bachir, en sommeil depuis plusieurs années. C’est son prédécesseur, Luis Moreno Ocampo, qui avait demandé la poursuite du Soudanais. Selon ses accusations, Omar Al-Bachir serait l’auteur d’un génocide ciblant les civils des ethnies four, masalit et zagawha. Des experts du Soudan et des humanitaires avaient alors critiqué l’approche du procureur, inspirée selon eux par des lobbys évangélistes américains. Depuis, Fatou Bensouda tente de consolider le dossier, qui, jusqu’en 2015, n’était pas assez étoffé, confie une source à la CPI.

L’enquête sur le Darfour reste effectivement toujours ouverte. Si Ahmed Haroun, qui a été plusieurs fois ministre et a pris la tête, début mars, du Parti du congrès national (alors au pouvoir), fait l’objet d’un mandat de la CPI depuis 2007, un chef des milices pro-gouvernementales janjawids, Ali Kosheib, est aussi attendu à La Haye, tout comme l’ancien ministre de la défense Abdel Rahim Mohamed Hussein. Deux cadres du pouvoir soudanais ont aussi été dans la mire du bureau du procureur, sans toutefois être à ce jour poursuivis : l’ancien vice-président Ali Osmane Taha et le chef des renseignements, Salah Gosh.