Remplacement systématique des congés maternité, renfort de 45 soignants supplémentaires… Depuis le début de la semaine, Martin Hirsch, le directeur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a multiplié les annonces et les visites sur le terrain pour tenter de désamorcer le mouvement de protestation en germe dans plusieurs services d’accueil des urgences (SAU) du plus grand groupe hospitalier de France.

Peine perdue. Dimanche 14 avril dans la soirée et lundi 15 avril, les infirmiers et les aides-soignants de quatre services d’urgence parisiens (Lariboisière, Pitié-Salpétrière, Saint-Louis, Tenon) devraient rejoindre ceux de l’hôpital Saint-Antoine dans une grève illimitée pour demander une amélioration de leurs conditions de travail et des augmentations de salaire. Ce mouvement, dont ses organisateurs espèrent qu’il se propagera aux vingt autres SAU du groupe puis à ceux du pays, ne devrait toutefois pas affecter la prise en charge des patients. Les grévistes sont assignés de manière à assurer une continuité des soins.

Hausse continue de la fréquentation

A l’origine de cette grève, qui a reçu le soutien des syndicats SUD et CGT, le malaise des personnels paramédicaux face à la dégradation de leurs conditions de travail. Alors que la fréquentation de ces services à l’AP-HP a crû au rythme soutenu d’environ 3 % par an ces dernières années, les effectifs soignants n’ont pas augmenté en proportion. « On nous demande de faire toujours plus avec moins, nous devons gérer 20 à 25 passages de plus par jour qu’en 2015 à effectif constant », raconte Orianne Plumet, une infirmière de 25 ans, en poste aux urgences de la Pitié-Salpétrière depuis plus de trois ans.

« Quand on a la tête sous l’eau, c’est le patient qui en pâtit, ce n’est plus la même qualité des soins », dit-elle, en regrettant le non-remplacement des congés maternité (soit six personnes actuellement à la Pitié), sur lequel vient de revenir la direction du groupe, ou l’absence de ratio entre le nombre de patients et le nombre de paramédicaux, « comme c’est le cas dans certains services de salle et comme le préconisent les sociétés savantes ».

Outre les 45 nouveaux postes déjà promis (à répartir entre les 25 services), Martin Hirsch a annoncé dans une lettre envoyée aux syndicats le 9 avril qu’un groupe de travail établirait « dans un délai de deux mois » de tels ratios. « Je m’engage à assurer un parallélisme entre l’augmentation de l’activité et le renforcement des effectifs, ce qui est un vrai progrès, assure-t-il au Monde. Comme, en plus nous veillerons à bien remplacer les congés de maternité, à titulariser plus vite, et à renforcer les effectifs de sécurité, les agents vont voir un réel effet. »

Dans les zones d’accueil des SAU, la hausse continue de la fréquentation est directement perceptible par les personnels comme par les patients. Dans la grande majorité des services (19 sur 25), les durées de passage aux urgences ont augmenté de dix à soixante-dix minutes entre 2015 et 2018.

« Je ne suis pas sereine »

Cette saturation a été mise en lumière lorsque en décembre, une femme de 55 ans a été retrouvée morte dans la zone d’attente des urgences de Lariboisière, douze heures après son admission, sans avoir été examinée par un médecin. Une enquête interne avait conclu un mois plus tard que les capacités du service à fonctionner correctement étaient « dépassées » ce soir-là. Dans une tribune publiée dans le Monde peu après, quatorze chefs de service avaient estimé que cette saturation permanente des urgences « augmente considérablement les risques d’erreurs médicales et use les équipes ». Ils avaient appelé à un « grand plan en faveur des urgences », prévoyant notamment la possibilité de « filtrer l’accès » à ces lieux de soins.

S’ils dénoncent la « dégradation de la qualité de la prise en charge » dans les SAU, les grévistes pointent également l’augmentation de l’agressivité et des violences dans ces services où sont accueillis des patients en situation de précarité, parfois atteints de pathologies psychiatriques. Au SAU de Saint-Antoine, dans l’Est parisien, en grève depuis le 18 mars pour dénoncer cette insécurité, on recense huit agressions physiques depuis le début de l’année. « On a choisi de travailler aux urgences, on est préparé à la violence mais là on a passé un seuil, je ne suis pas sereine sur ma protection physique lorsque je viens travailler », témoigne Candice Lafarge, une aide soignante de 33 ans. « On se fait insulter tous les jours, on se retrouve à accepter des choses qu’on n’accepterait pas à l’extérieur », ajoute sa collègue Stéphanie Robin, 44 ans.

L’agression le 13 janvier de deux infirmières et d’une aide soignante a particulièrement marqué les esprits, l’administrateur de garde ayant refusé d’accompagner les victimes porter plainte. « On se fait défoncer la gueule et la direction nous explique qu’elle ne peut pas porter plainte parce qu’il n’y a pas eu de destruction matérielle », lance Candice Lafarge. Rappelant qu’un plan visant à renforcer la sécurité de l’ensemble des sites a d’ores et déjà été engagé, Martin Hirsch assure qu’il va « accélérer » sa mise en œuvre.

De façon plus large, les personnels grévistes réclament une reconnaissance de la spécificité de leur travail, avec l’octroi d’une prime mensuelle de 300 euros. « Aujourd’hui les hôpitaux ont du mal à recruter pour ces services parce que c’est devenu un boulot intenable », souligne Hugo Huon, infirmier à Lariboisière et l’un des représentants du collectif. Sur cette demande de prime, Martin Hirsch a déjà botté en touche, renvoyant les grévistes vers le ministère de la santé. « Il n’est pas possible à l’AP-HP de créer une prime spécifique pour telle ou telle catégorie d’agents relevant du statut de la fonction publique hospitalière », a-t-il fait valoir aux syndicats le 9 avril.