Un hôpital de Lagos, au Nigeria, en mars 2019. / Afolabi Sotunde / REUTERS

Dans le très chic hôtel Oriental de Lagos, au Nigeria, les rêves se font et se défont au gré des petites phrases d’Adeyoyin Adesmoyo. Si le Canadien, consultant privé en immigration, lance un définitif « Monsieur, vous êtes trop vieux » à un ingénieur de 48 ans, en revanche, avec les médecins, il change de ton.

Lorsqu’un praticien, la trentaine, se présente à lui, il se redresse et adopte un discours plus engageant. « Je peux vous assurer une chose, profère-t-il. Avec votre profil, d’ici à la fin de l’année, vous aurez une résidence permanente au Canada. » Les mots font leur effet immédiat. De l’autre côté de la table, le docteur Adekola Adekunla esquisse un sourire. S’il est venu ici, c’est parce qu’il veut partir.

Sa femme ne trouve pas d’emploi au Nigeria où le taux de chômage est à 23 %, et leurs conditions de travail sont difficiles dans la capitale économique. « Je souhaite partir au Canada. Là-bas, j’aurai un salaire plus élevé, je serai plus respecté et l’avenir sera plus lumineux pour ma fille », explique-t-il au Monde Afrique. Le docteur Adekunla n’est pas le seul à faire ce raisonnement. Au Nigeria, les professionnels de santé rêvent souvent d’émigrer.

« Une tendance alarmante »

Une enquête menée en 2017 par Noipolls, le plus important institut de sondage du pays, pointait que neuf médecins sur dix envisageaient de s’exiler en raison des mauvais salaires – environ 500 euros par mois – et des exécrables conditions de travail, notamment à cause du manque d’équipement médical dans les hôpitaux. Selon l’Association des médecins résidents, quelque douze professionnels quitteraient le pays chaque semaine. Un exode massif, surtout vers des pays où l’anglais – langue officielle au Nigeria – est majoritaire, comme au Canada, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.

« C’est vraiment une tendance alarmante », affirme le docteur Francis Adebayo Faduyile, président de l’Association médicale du Nigeria et médecin généraliste depuis presque 25 ans. Selon lui, des questions de sécurité poussent aussi des médecins à partir. Il affirme que nombre de ses collègues sont kidnappés par des groupes criminels, qui croient – à tort le plus souvent – que ces derniers sont très riches. « Les médias ne les rapportent pas toutes, mais nous, on entend des histoires d’enlèvements toutes les semaines », insiste M. Faduyile. Pour freiner cette fuite des cerveaux, il milite pour que le gouvernement fédéral consacre 15 % de son budget à la santé. Mais, pour l’instant, la part consacrée à ce ministère ne représente que de 4 % des dépenses.

Ce sous-financement, additionné à l’exode des médecins, entraîne une pénurie et une dégradation des soins à travers le pays. Il y aurait 5 000 patients pour un docteur au Nigeria. C’est huit fois moins que le ratio recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Et les besoins sont encore plus criants dans les régions reculées. Dans certains endroits de l’Etat de Zamfara, dans le nord-ouest du pays, il n’y aurait que 46 médecins dans les hôpitaux publics pour les trois millions d’habitants, rapportent des médias locaux.

« Quasi-totalité » des promotions

Sandra Jboneme, 24 ans, qui vient de terminer sa formation en médecine générale à la faculté de médecine de l’université de Lagos, préfère rester dans la plus grande ville d’Afrique. Une exception dans sa promotion puisque la « quasi-totalité » des étudiants de sa classe souhaite vivre et pratiquer ailleurs qu’au Nigeria. « Sur 250, on est à peine 10 à envisager de rester », observe-t-elle.

Les groupes WhatsApp pour les examens d’admission à l’étranger abondent, mais Sandra Jbonneme a eu du mal à en trouver un pour ceux qui souhaitent passer les tests professionnels nigérians. « Ils rêvent tous d’être médecins ailleurs. J’ai l’impression que nous formons des médecins pour les autres pays », se désole la jeune femme, dont le choix est aussi stratégique puisqu’elle pense qu’en restant ici, il lui sera plus facile de travailler un jour comme médecin spécialiste.

Le vendredi 5 avril, le président Muhammadu Buhari a déploré le départ des médecins à l’étranger et a invité ceux-ci à « revenir ». Selon lui, la faiblesse du système de santé et le tourisme médical, qui concerne les Nigérians préférant se faire soigner à l’étranger, feraient perdre environ 1 milliard d’euros au gouvernement. Le président n’a pourtant pas de leçons à donner. En 2017, le chef de l’Etat avait fait trois voyages médicaux à Londres, dont un d’une durée de 104 jours.