Libye : l’échec de la communauté internationale
Libye : l’échec de la communauté internationale
Editorial. L’offensive déclenchée sur Tripoli par le maréchal Khalifa Haftar, le chef de l’Armée nationale libyenne, ramène le pays cinq ans en arrière, quand la guerre civile éclatait durant l’été 2014.
Des forces loyalistes attaquée à 30 kilomètres au nord de Tripoli, le 12 avril. / MAHMUD TURKIA / AFP
Editorial du « Monde ». La Libye vient d’entrer dans sa troisième guerre civile depuis 2011. L’échec est cuisant pour une communauté internationale qui a fait preuve de son impuissance et de ses divisions. Huit ans après le début du soulèvement qui renversa le régime de Mouammar Kadhafi avec l’aide de l’OTAN, le pays n’en finit pas d’être en proie au chaos, livré aux chefs de milice ou aux tenants d’un militarisme régressif. L’offensive déclenchée le 4 avril sur Tripoli par le maréchal Khalifa Haftar, le chef de l’Armée nationale libyenne (ANL), ramène le pays cinq ans en arrière, quand la guerre civile éclatait durant l’été 2014.
Si les combats restent relativement limités, ils font craindre le risque d’un embrasement plus général en Tripolitaine (Ouest). Une nouvelle fois, les civils vont payer un lourd tribut alors que, déjà, des informations font état de violations du droit humanitaire. Les acquis engrangés depuis 2016 dans la lutte antiterroriste, en particulier contre la présence de l’organisation Etat islamique (EI), sont fragilisés. Cette dernière avait prospéré sur la fracture qui s’était ouverte entre l’Est et l’Ouest en 2014. La fragmentation du pays en fiefs rivaux et l’absence de gouvernement central avaient offert un terreau fertile à l’implantation de groupes djihadistes.
Duel entre l’Est et l’Ouest
L’accord signé à Skhirat (Maroc) en décembre 2015 devait réunifier le pays afin de mieux prévenir la dérive. Si cette réunification n’a pas eu lieu, les camps rivaux de l’Est et de l’Ouest, engagés dans un dialogue malaisé, avaient au moins cessé de se battre frontalement. L’accalmie avait facilité une mobilisation victorieuse contre les repaires extrémistes à Benghazi et surtout à Syrte, où l’EI avait établi son sanctuaire d’Afrique du Nord. Mais il y a tout lieu de craindre que la fracture qui se rouvre depuis dix jours libère des espaces que des groupes terroristes mettront à profit.
Pour la communauté internationale, l’éclatement de cette nouvelle guerre civile signe un revers cinglant. Le maréchal Haftar a déclenché les hostilités contre un gouvernement mis en place par les Nations unies elles-mêmes. Faïez Sarraj, le chef de ce « gouvernement d’accord national » installé à Tripoli depuis le printemps 2016, était un inconnu avant que les Nations unies ne le choisissent pour incarner la solution politique en Libye. Dès lors, l’autorité de M. Sarraj n’a cessé de faire l’objet d’un travail de déstabilisation, dans lequel le maréchal Haftar a joué un rôle-clé.
Soutenu par les Emirats arabes unis, l’Egypte et l’Arabie saoudite, l’homme fort de l’Est a considéré que M.Sarraj était à Tripoli l’otage des « Frères musulmans » et des « milices ». Or la vérité est qu’à partir de 2016 la frange islamiste la plus dure avait été évincée de Tripoli, même si M. Sarraj demeurait dépendant à l’égard des milices. Ces dernières étaient toutefois plus motivées par l’appât du gain que par l’idéologie.
Dans ce duel entre l’Est et l’Ouest, Haftar a capitalisé sur le ras-le-bol de la population vis-à-vis du désordre milicien. Pour autant, des capitales occidentales, dont Paris, qui l’avait soutenu dans ses opérations antiterroristes à Benghazi, n’auraient jamais dû se nourrir d’illusions sur les ambitions du maréchal. Haftar est partisan d’un régime militariste à rebours des idéaux de la révolution de 2011. Si le dialogue est nécessaire avec cet acteur « incontournable », le convaincre de renoncer à son entreprise de conquête par la force est impératif pour stabiliser la Libye.