Des armes françaises sont bien utilisées dans le conflit au Yémen, confirme une note du renseignement militaire français qui fissure la version officielle du gouvernement, révèle lundi 15 avril le nouveau média d’investigation français Disclose.

Selon la ligne invariablement avancée par Paris, qui ne dément pas l’existence de cette note, l’armement français possédé par l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis n’est utilisé que de manière défensive dans cette guerre qui a fait au moins 10 000 morts depuis 2015. Or, d’après une note de la Direction du renseignement militaire (DRM) transmise à l’exécutif français en octobre 2018 et obtenue par Disclose, partenaire de France Info, Mediapart, The Intercept, Konbini et Arte, des armes françaises sont bien utilisées sur le territoire yéménite par Riyad et Abou Dhabi contre les rebelles houthistes, minorité chiite soutenue par l’Iran.

Canons français et chars Leclerc

De nombreuses ONG dénoncent régulièrement l’exportation d’armement français aux belligérants du conflit, susceptible selon elles d’être utilisé contre les civils.

Selon cette note, 48 canons Caesar produits par l’industriel français Nexter et déployés le long de la frontière saoudo-yéménite « appuient les troupes loyalistes, épaulées par les forces armées saoudiennes, dans leur progression en territoire yéménite », souligne cette note. Une carte de la DRM intitulée « population sous la menace des bombes » estime que « 436 370 personnes » sont « potentiellement concernées par de possibles frappes d’artillerie », dont celles des canons français.

Sur le champ de bataille évoluent des chars Leclerc, observés « au Yémen et déployés en position défensive », selon la note. Or « en novembre 2018, les chars français sont au cœur de la bataille d’Al-Hodeïda », assure Disclose après avoir recoupé la note de la DRM avec des images satellite et des vidéos.

Dans les airs, des Mirage 2000-9 « opèrent au Yémen », selon la note. Quant au pod de guidage laser français Damoclès (Thalès), il « pourrait être employé au Yémen », suggère la DRM. En mer, deux navires de fabrication française « participent au blocus naval » qui empêche le bon ravitaillement des populations, et l’un d’entre eux contribue « à l’appui des opérations terrestres menées sur le territoire yéménite », précise la DRM.

Nouvelles livraisons prévues de 2019 à 2024

Dans une réponse écrite des services du premier ministre lundi, le gouvernement français affirme qu’« à [sa] connaissance, les armes françaises dont disposent les membres de la coalition sont placées pour l’essentiel en position défensive, à l’extérieur du territoire yéménite ou sur des emprises de la coalition, mais pas sur la ligne de front ». « Nous n’avons pas connaissance de victimes civiles résultant de leur utilisation sur le théâtre yéménite », ajoute Matignon.

Interrogée le 20 janvier sur France Inter, Florence Parly affirmait : « Nous n’avons récemment vendu aucune arme qui puisse être utilisée dans le cadre du conflit yéménite. » Trois mois plus tôt, en octobre, la ministre avait déclaré sur BFMTV qu’il n’y avait pas de négociations en cours avec l’Arabie saoudite sur des ventes d’armes.

Les exportations d’armes vers l’Arabie saoudite se poursuivent, révèle également Disclose, qui publie des documents liés à un nouveau contrat signé en décembre 2018 avec Riyad, courant jusqu’en 2023. Signé par Nexter, il prévoit notamment la livraison de véhicules blindés et canons à l’Arabie saoudite entre 2019 et 2024.

« Le gouvernement ne peut plus nier le risque de complicité dans des crimes de guerre », a réagi de son côté la directrice France de l’ONG Human Rights Watch sur Twitter, Bénédicte Jeannerod, en appelant la France à « cesser les ventes aux pays de la coalition Arabie-EAU et faire toute la transparence ».