DENIS ALLARD POUR « LE MONDE »

La carcasse de pierre de Notre-Dame était encore fumante, mardi 16 avril au matin, que la polémique enflait déjà. Les dons pour la reconstruction de la cathédrale, émanant notamment de plusieurs grandes fortunes françaises issues du secteur du luxe, devraient ouvrir droit à des réductions d’impôts de 60 %, au titre de la niche fiscale sur le mécénat. Autrement dit, « c’est la collectivité publique qui va prendre l’essentiel [des frais de reconstruction] en charge !, déplore Gilles Carrez, député Les Républicains (LR) et rapporteur spécial du programme patrimoine pour la commission des finances de l’Assemblée nationale. Sur 300 millions d’euros, 180 millions seront financés par l’Etat, au titre du budget 2020 ».

Au lendemain de l’incendie qui a ravagé Notre-Dame, lundi soir, plusieurs grandes fortunes ont en effet annoncé vouloir participer financièrement à la reconstruction. LVMH, numéro un mondial du luxe, et la famille Arnault à sa tête, ont annoncé un « don » de 200 millions d’euros « au fonds dédié à la reconstruction de cette œuvre architecturale qui fait partie de l’histoire de France ». Un peu plus tôt, la famille d’industriels Pinault avait annoncé débloquer 100 millions d’euros via sa société d’investissement Artemis.

60 % de réduction d’impôt

Or, pour les entreprises, la niche mécénat offre 60 % de réduction d’impôt sur l’impôt sur les sociétés (et 66 % de réduction d’impôt sur le revenu pour les particuliers), plafonné à 0,5 % du chiffre d’affaires, avec la possibilité de bénéficier d’un échelonnement de l’avantage fiscal sur cinq ans. M. Carrez souligne ainsi :

« Là, on n’a pas le choix, on peut s’en réjouir. Mais dès lors que cet argent viendra en déduction des impôts [qu’auraient dû payer les donateurs], ce sont des sommes qu’il va falloir trouver. C’est tout le problème de ce genre de dispositif : ça peut poser un problème budgétaire. »
La Cour des comptes avait appelé à « mieux encadrer » le mécénat d’entreprise, multiplié par dix en quinze ans

Cette niche fiscale sur le mécénat d’entreprise est régulièrement décriée. Stratégique pour les secteurs concernés (musées, expositions, patrimoine) elle coûte plus de 900 millions d’euros à l’Etat. Dans un rapport publié à l’automne, la Cour des comptes avait appelé à « mieux encadrer » le mécénat d’entreprise, multiplié par dix en quinze ans. Dans un rapport de 2015, l’Inspection générale des finances avait souligné que la France était la seule à proposer une réduction d’impôt, et pas une déduction de l’assiette imposable. M. Carrez, auteur d’un rapport sur le sujet fin 2017, avait plaidé pour son amoindrissement à l’automne dernier, lorsque Bercy cherchait – déjà – des marges de manœuvre budgétaire. « Nous avons eu l’accord du gouvernement pour faire des propositions dans le cadre du budget 2020, afin de rendre cette niche plus efficace », rappelle M. Carrez.

« Emotion n’est pas raison »

Alors que les niches fiscales sont dans le viseur du gouvernement, qui aurait dû annoncer ses mesures fiscales de sortie du grand débat lundi 15 avril au soir, le débat a donc rebondi à la faveur de l’incendie de Notre-Dame. « Si on veut plus de justice fiscale, le mécénat n’est pas la meilleure des choses. Je comprends l’émotion, mais émotion n’est pas raison », indique au Monde Joël Giraud, le rapporteur (LRM) du budget, lui-même auteur de rapports virulents contre ce dispositif.

De son côté, l’ancien ministre de la culture Jean-Jacques Aillagon, actuellement directeur général de la collection Pinault, a réclamé sur Twitter lundi « que l’Etat décrète vite Notre-Dame trésor national, de façon à ce que les dons faits pour sa reconstruction bénéficient de la réduction d’impôt de 90 % prévues par la loi sur le mécénat dite loi Aillagon ».

« Nous allons voir avec le gouvernement quel dispositif spécifique nous mettons en œuvre, mais bien évidemment l’Etat sera là auprès de tous nos compatriotes pour reconstruire » et il « assumera ses responsabilités », a assuré l’actuel ministre Franck Riester, sur France Inter mardi. « Ne peuvent être décrétés trésor national que les biens risquant de quitter la France », expliquait-on mardi matin au ministère de la culture. « A priori, les Français n’ont pas besoin de déduction fiscale pour donner pour Notre-Dame. Même les plus riches ! », s’agaçait-on à Bercy.

Le sujet devait être évoqué mardi en fin de matinée à l’occasion d’une réunion interministérielle à Matignon, avec notamment les ministres Franck Riester (culture) et Gérald Darmanin (comptes publics), destinée à préparer un « plan de reconstruction » de Notre-Dame de Paris.