Manifestation sur la place Tiananmen, à Pékin, le 2 juin 1989. / CATHERINE HENRIETTE / AFP

Editorial du « Monde ». L’anniversaire est passé largement inaperçu. Il y a trente ans, le 15 avril 1989, mourait à Pékin l’ancien secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC) Hu Yaobang, à l’âge de 73 ans. Le « petit diable rouge », son surnom dans les maquis révolutionnaires, avait été limogé deux ans auparavant pour son attitude, jugée trop conciliante, envers les manifestations étudiantes. Avec sa politique réformiste, il avait su pourtant panser les plaies de la Révolution culturelle, se ralliant les faveurs des cadres et des intellectuels qui avaient durement souffert de cette période de folie révolutionnaire (1966-1976), lancée par Mao Zedong.

Le jour des funérailles, organisées dans le Palais du peuple en présence de tous les dignitaires, des centaines de milliers d’étudiants lui ont rendu hommage sur la place Tiananmen voisine. Ils ont fini par s’y installer et réclamer plus de libertés et moins d’inégalités. Le reste du pays a été gagné par des manifestations similaires, et le régime a vacillé.

Plus de dix ans après son lancement, la politique de réformes et d’ouverture suscitait autant de mécontentement dans une population urbaine exaspérée par l’inflation et la corruption que d’inquiétude chez les conservateurs du parti, désireux de revenir à une économie étroitement contrôlée, comme dans les années 1950. Ce « printemps de Pékin » a même éclipsé la réconciliation sino-soviétique et la rencontre tant attendue entre Deng Xiaoping, l’homme des réformes, et Mikhaïl Gorbatchev. Finalement, les durs du régime chinois ont eu gain de cause, Deng s’est rangé de leur côté. L’armée est intervenue en pleine ville dans la nuit du 3 au 4 juin 1989 pour déloger les manifestants, la répression a été féroce et a suscité l’indignation en Occident.

La condamnation de François Mitterrand

Aucun bilan officiel n’a été donné, mais des historiens avancent le chiffre de 2 800 morts tout autour de la place Tiananmen. La France, qui fêtait avec faste les 200 ans de sa Révolution, avait accueilli d’anciens dirigeants du mouvement et condamné avec force Pékin, par la voix de son président, François Mitterrand : « Un régime qui, pour survivre, en est réduit à tirer sur la jeunesse qu’il a formée et qui se dresse contre lui au nom de la liberté n’a pas d’avenir. » Cruelle ironie du sort, trente ans ont passé, et le régime a non seulement survécu, mais il s’est renforcé. Le choix de la répression a permis au PCC de ne pas connaître le sort de son homologue soviétique.

Les pays occidentaux se sont longtemps bercés d’illusions, persuadés que l’enrichissement des classes moyennes et l’arrivée d’Internet allaient conduire la Chine à se démocratiser. Selon eux, Tiananmen n’avait été qu’une tentative manquée. Non seulement la puissance asiatique n’a pas suivi le chemin de l’URSS, mais l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, fin 2012, a marqué le triomphe d’un néo-autoritarisme qui se pose en alternative du système occidental et abhorre les valeurs universelles. Les critiques sont réduites au silence : journalistes, avocats, blogueurs, professeurs d’université en font les frais… L’histoire est sous contrôle, au service d’un « roman national » à la gloire de la toute-puissance du PCC.

Plus inquiétant encore, Pékin, fort de son succès économique, se montre politiquement offensif, proposant une « solution chinoise » pour résoudre les problèmes du monde. Séduisant même certains pays comme la Hongrie. Trente ans après Tiananmen, la situation s’est retournée, le combat pour la démocratie se joue désormais en Europe.