La joie des joueurs de l’Ajax après l’élimination de la Juventus Turin en quarts de finale de la Ligue des champions. / MARCO BERTORELLO / AFP

Ils n’ont même plus besoin de remporter la Ligue des champions pour être les grands vainqueurs de cette édition 2018/2019. Les joueurs de l’Ajax ont déjà marqué la compétition de leur empreinte en éliminant deux ogres du football européen, rien moins que le Real Madrid, triple tenant du titre, en huitièmes de finale (1-2, 4-1), puis, en quarts, le champion d’Italie (1-1, 2-1), la Juventus de Turin.

En proposant un jeu flamboyant, porté par de jeunes loups pour la plupart formés au club, et avec un budget certes confortable (75 millions d’euros) mais loin, très loin, des standards des grandes puissances footballistiques, l’Ajax s’est hissé en demi-finale de la Ligue des champions, tout en faisant souffler un vent de fraîcheur sur le printemps continental, qui baigne d’habitude dans une atmosphère polluée par l’argent tout puissant. Savourez l’instant, car on ne reverra plus cette équipe-là briller du même éclat.

Bien avant leur double exploit, cet effectif attisait déjà toutes les convoitises, et il sera sans trop de doute pillé lors du mercato d’été. Les deux meilleurs joueurs de l’équipe, incarnation de la philosophie du (beau) jeu développé par les Ajacides, vont faire leurs bagages. Le milieu de terrain Frenkie De Jong s’est d’ores et déjà engagé pour le FC Barcelone, qu’il rejoindra en fin de saison contre la coquette somme de 75 millions d’euros. Le jeune défenseur (19 ans) et capitaine Mattias De Ligt est également courtisé par les plus grands clubs européens et son entraîneur a confirmé qu’il quittera le club, soit pour le Bayern Munich, soit pour le FC Barcelone. Ils ne seront sans doute pas les seuls à faire leurs adieux, le PSG et consorts suivant aussi le milieu Danny van de Beek ou l’attaquant brésilien David Neres.

Le onze titulaire de l’Ajax pèse près de 350 millions d’euros selon les calculs effectués par L’Equipe, qui s’est basée sur la valeur des joueurs établie par le site Transfermarkt. Le groupe, dans sa globalité, est estimé à 420 millions d’euros. L’argent généré par ces transferts sera sans doute réinvesti – de jeunes joueurs formés au club tapent déjà à la porte de l’équipe professionnelle – mais nul ne saura jamais quel sommet aurait pu atteindre cette équipe sur la durée avec un groupe inchangé. Rien de très nouveau pour ce club habitué à voir partir ses meilleurs joueurs, et qui avait déjà perdu les trésors de sa génération dorée, celle des Kluivert, Overmars et autres De Boer, après le titre continental conquis en 1995.

Un parcours du combattant

Mais la tâche sera cette fois d’autant plus ardue que la formation néerlandaise paye au prix fort les récentes évolutions du football-business. Avant de devenir l’équipe la plus « hype » de cette saison, Amsterdam a dû franchir… trois tours préliminaires. Deuxième du championnat des Pays-Bas la saison passée derrière le PSV Eindhoven, l’Ajax a déjà subi de plein fouet une première réforme de la Ligue des champions, initiée en 2016 et entrée en vigueur l’année dernière. Cette réforme, qui attribue d’office quatre places aux clubs des championnats anglais, allemand, italien et espagnol, oblige les représentants des championnats de moindre envergure à franchir un parcours d’obstacle des plus complexes.

L’épopée européenne de l’Ajax Amsterdam a donc commencé dès le 25 juillet 2018, avec la réception des Suisses de Sturm Graz, alors que les grosses cylindrées européennes retrouvaient à peine le chemin de l’entraînement. Il a fallu ensuite se débarrasser du Standard de Liège, dans le courant du mois d’août, avant de sortir le Dynamo Kiev lors des matchs de barrage. Un parcours du combattant. Et déjà un exploit de taille. L’Ajax est ainsi devenue la première équipe dans l’histoire de la Ligue des champions à se qualifier pour les demi-finales après avoir disputé trois tours préliminaires. Six matchs de plus que leurs potentiels adversaires en demi-finale, une surcharge qui pourrait avoir son importance, d’autant que l’Ajax n’a pas la profondeur de banc de ses prestigieux et opulents adversaires.

A moins de remporter la Ligue des champions cette saison, l’Ajax devra réussir la saison prochaine le même genre de marathon, pendant qu’un club italien comme le Milan AC, surendetté, absent de cette compétition depuis cinq ans, obtiendrait directement son billet pour les phases de poule à la faveur de son classement dans son championnat (le club est actuellement 4e).

Andrea Agnelli, président de la Juventus de Turin, le 6 avril. / MASSIMO PINCA / REUTERS

Plus d’Ajax en C1 à partir de 2024 ?

Et avec la réforme de la Ligue des champions envisagée pour 2024 par l’UEFA et l’ECA, l’Association européenne des clubs, qui souhaite instaurer une ligue semi-fermée faisant la part belle aux grandes puissances financières du ballon rond, l’Ajax pourrait n’avoir plus aucune voix au chapitre.

Dans cette nouvelle formule, en discussion parmi les dignitaires du football continental, 24 équipes sur les 32 engagées seraient identiques d’une saison à l’autre. Seraient engagés d’office les cinq premiers des quatre meilleurs championnats européens (selon le coefficient UEFA), ainsi que les quatre champions des pays classés de la cinquième à la huitième place. Il resterait alors huit places à se partager pour le reste de l’Europe, qui pourraient être réparties entre les quatre demi-finalistes de la Ligue Europa et des clubs issus de championnats dits mineurs, comme ceux du Portugal, de la Russie, de la Suisse, de la Belgique, ou des Pays-Bas, lesquels sont actuellement classés 11e au coefficient UEFA.

Autant dire que seule une dérogation permettrait de voir le quadruple vainqueur de l’épreuve disputer la Ligue des champions. Les dirigeants de l’Ajax devront peut-être adresser leur requête à Andrea Agnelli, patron de l’Association européenne des clubs, à la pointe de cette réforme, et accessoirement président de la Juventus Turin… Ils connaissent l’adresse.

« Pourquoi ne pourriez-vous pas battre un club plus riche ? Je n’ai jamais vu un sac de billets marquer un but », s’était faussement interrogé le plus illustre représentant de l’Ajax Amsterdam, le « Hollandais volant » Johann Cruyff. Les « clubs plus riches » ont trouvé la réponse : réduire l’aléa sportif à sa plus simple expression.