LA LISTE DE LA MATINALE

Cette semaine, Fernanda Melchor, nouvelle voix marquante de la littérature mexicaine, s’empare d’un fait divers, et la Catalane Imma Monso nous raconte un singulier anniversaire.

ROMAN. « La Saison des ouragans », de Fernanda Melchor

Fernanda Melchor est l’une des nouvelles voix les plus marquantes de la littérature mexicaine. Dans La Saison des ouragans, son premier roman traduit en français, elle revient sur sa terre natale, Veracruz, à l’est de Mexico, pour raconter l’histoire d’un meurtre inspiré d’un véritable fait divers : celui de « la Sorcière », figure emblématique de la région au début des années 2000, connue pour les « breuvages » qu’elle administrait aux femmes (philtres, boissons abortives) ainsi que pour rémunérer les jeunes hommes en quête de plaisir sexuel.

Qui en voulait à cet être fantasque et terrifiant ? S’écartant de la stricte intrigue policière, Fernanda Melchor part de cet assassinat pour plonger au plus profond de la ruralité mexicaine. Laissant parler à tour de rôle ceux qui se rapprochent le plus du crime, à la façon d’Absalon ! Absalon !, de Faulkner (Gallimard, 1953), elle livre un roman impressionnant, où le temps semble mis en suspens depuis des décennies, et où culmine, sous tous ses aspects, la violence endémique au Mexique – sans jamais verser dans le sordide. Ariane Singer

GRASSET

« La Saison des ouragans » (Temporada de huracanes), de Fernanda Melchor, traduit de l’espagnol (Mexique) par Laura Alcoba, Grasset, « En lettres d’ancre », 284 p., 20 €.

BD. « True Stories », de Derf Backderf

Avant de connaître le succès avec Mon ami Dahmer (Çà et là, 2013) – la jeunesse d’un tueur en série à travers les yeux d’un ancien camarade, dans l’Ohio – Derf Backderf a fait ses classes dans la meilleure école qui soit, celle des fanzines et des hebdos gratuits qui prolifèrent sur les campus universitaires américains.

Entre 1990 et 2014, le dessinateur de Cleveland (Ohio) a produit des centaines de strips humoristiques, scènes insolites du quotidien attrapées sur le vif dans la rue ou au fast-food du coin. Pendant leur pause, des coursiers à vélo grattent leurs croûtes, séquelles de leurs nombreuses chutes ? Backfderf dégaine son crayon. « Je suis SDF. T’aurais pas un peu de monnaie ? », lance une femme à un homme, qui lui répond : « Moi aussi, je suis SDF. » Backderf rejoue la séquence en exacerbant corps et trognes, l’une des singularités de son style puisé aux sources de la BD underground.

Derrière le cocasse des situations, cette compilation de true stories (« histoires vraies ») parvient à capter la psyché d’une Amérique paranoïaque et livrée à ses obsessions, au premier rang desquelles figure la malbouffe. Frédéric Potet

CA ET LA

« True Stories », de Derf Backderf, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Philippe Touboul, Çà et là, 200 p., 20 €.

ROMAN. « L’Anniversaire », d’Imma Monso

Comme souvent, l’amour et le temps sont les grands fils conducteurs de L’Anniversaire, le nouveau roman de la romancière catalane Imma Monso. Mais c’est un singulier anniversaire que s’apprête à marquer, d’une façon non moins étrange, le couple qu’on nous présente.

Ces deux-là ne s’adressent plus la parole : elle est tournée vers elle-même, sa vie intérieure, ses lectures, tandis que lui n’est à l’aise que dans le prosaïsme du quotidien. Elle lui reproche de ne plus la surprendre ? Qu’à cela ne tienne. En ce jour clé, il lui propose un anniversaire surprise, une virée dans le huis clos d’une voiture, direction une forêt déserte. Avec, dans le coffre, une boîte qui n’est pas exactement un cadeau…

Imma Monso maîtrise tout, des efforts de la femme pour garder son calme au sentiment d’étrangeté devant cet inconnu avec lequel elle a toujours vécu. Le suspense va croissant jusqu’aux coups de théâtre finaux, et l’auteure transforme le sujet usé de la crise du couple en une stimulante réflexion sur le langage. Florence Noiville

JACQUELINE CHAMBON

« L’Anniversaire » (L’aniversari), d’Imma Monso, traduit du catalan par Marie Vila Casas, Jacqueline Chambon, 272 p., 22 €.

ESSAI. « Le Détail du monde », de Romain Bertrand

Bien des pionniers émerveillés de la découverte de la nature, à partir du XIXe siècle, étaient des tueurs en série d’animaux. Ce paradoxe taraude le nouveau livre de l’historien Romain Bertrand. Même chez de grands naturalistes, tel Charles Darwin, la connaissance de la nature voisine avec son « martyre », avec des « monceaux de petits cadavres » rapportés des forêts tropicales. Est-ce à dire qu’il y a un lien entre le savoir et le meurtre ? L’enquête de l’auteur nous achemine vers une réponse plus complexe.

Dès le début du XXe siècle, rappelle-t-il, le Royaume-Uni est pionnier dans la défense de la faune sauvage. On pourrait voir là l’éveil tardif d’une conscience écologique. Mais Romain Bertrand suggère qu’il s’agit plutôt de la renaissance provisoire d’un savoir ancien et déjà mourant. Ne trouve-t-on pas déjà chez Alexander von Humboldt une infinie considération pour la diversité des êtres et un souci d’éviter la « sécheresse de la science pure », en décrivant et en « peignant » la nature telle qu’elle est ?

Tel est aussi le parti pris de cet essai dont l’écriture, issue d’une « rêverie », relève moins des « règles ordinaires de la démonstration » en sciences humaines que de « l’évocation poétique ». Contre un savoir des généralités et des « structures enfouies » qui conduirait à « l’incision létale des êtres », il plaide hardiment pour une « connaissance en forme de caresse » requérant de rester « à la surface des choses ». Serge Audier

SEUIL

« Le Détail du monde. L’art perdu de la description de la nature », de Romain Bertrand, Seuil, « L’univers historique », 278 p., 22 €.