Après l’évocation de Serge Gainsbourg et Alain Bashung, du chorégraphe Jean‑Claude Gallotta, avec un spectacle créé en 2009, et repris pour l’ouverture, mardi 16 avril, du Printemps de Bourges, c’est un autre cher disparu de la chanson qui était au programme, mercredi, du festival. Jacques Higelin, mort le 6 avril 2018, avait été de la première édition du Printemps, en 1977. Le public avait grandi avec lui, le fêtant à chaque retour, dès 1979, puis une ou deux fois à chaque décennie suivante.

L’émotion se diffuse dès le début avec Izïa et Arthur H interprétant en duo « Je ne peux plus dire je t’aime »

Sa mort était encore trop proche pour qu’en 2018 le festival le célèbre. Nous voici, un an plus tard, conviés par ses enfants Izia, chanteuse, Arthur H, chanteur et pianiste, et Kên, acteur et metteur en scène, et leurs invités à « Jacques, Joseph, Victor dort ». Même titre, avec les trois prénoms du chanteur et pianiste, que celui de la série de concerts d’Higelin au Cirque d’hiver, du 14 décembre 1981 au 13 février 1982, longues soirées folles avec section de vents, danseuses et danseurs (dont Jean Babilée pour un solo), Armande Altaï, guitares rock et improvisations au-delà de la nuit.

Le Palais d’Auron n’est pas un cirque, mais le dispositif scénique en a un petit air. Devant la grande scène en hauteur, une volée de marches et un plateau au sol, avec le piano, les instruments de percussions. Avec Izia et Arthur H, chanteuses (Jeanne Cherhal, Camille, Jeanne Added) et chanteurs (Rodolphe Burger, Fred Poulet), instrumentistes (le pianiste Sébastien Cortella, le guitariste Alice Botté, le percussionniste Dominique Mahut…), acteurs (Mathieu Amalric pour deux lectures de souvenirs d’Higelin, Kên offrant, avec L’Innocence, un moment en suspension) font du piano un point central, s’installent sur les marches, dansent sur la scène.

Annoncée pour durer quatre-vingt-dix minutes, la célébration, joyeuse, émouvante, tendre, avec des embrassades, des souvenirs des unes et des autres, trop courte pour tel passage, trop longue pour tel autre (Irradié qui s’éternise, en fin de soirée, mais le public d’Higelin aimait aussi ses dérives), a dépassé les deux heures. Parti pris réussi. C’est plutôt le répertoire des ballades, des romances, des déclarations d’amour et d’amitié qui a été choisi. Avec, ici et là, Higelin le feu follet, en héritier de Charles Trenet, que l’on retrouve dans Tombé du ciel, par Jeanne Cherhal ou Tête en l’air, par Camille et Jeanne Cherhal. Et l’Higelin rock, celui d’Avec la rage en d’dans, par Jeanne Added ou de Le Minimum, que la contrebassiste Sarah Murcia et Fred Poulet traitent avec retenue. Rodolphe Burger mène Cigarette, idéalement vers un blues boueux.

Compositions pour l’absent

L’émotion se diffuse dès le début avec Izia et Arthur H interprétant en duo Je ne peux plus dire je t’aime. De Ballade pour Izia, la chanteuse sort les larmes aux yeux. Alice Botté apporte une belle fragilité à La Rousse au chocolat. Et puis, il y a ces adresses à Jacques Higelin, compositions qui disent l’absence, écrites par Jeanne Cherhal (Un adieu), Izia (Dragon de métal) et Arthur H, qui présente une version dépouillée du Passage et une autre, tout aussi sobre et légère du Destin du voyageur qu’il avait enregistré en duo avec son père. A la fin, quand les lumières se sont rallumées, que le public en veut encore, une première voix part de la salle, une autre suit, bientôt des dizaines, pour chanter les quelques lignes de la comptine Frère Jacques. En signe de remerciement à Jacques Joseph Victor et à celles et ceux qui l’ont fait revivre.

En images : Jacques Higelin, une vie de musique et d’engagement

Festival Le Printemps de Bourges, dans une dizaine de salles, jusqu’au dimanche 21 avril. Printemps-bourges.com