Le président américain Donald Trump, le 18 avril, à la Maison-Blanche, après la publication du rapport du procureur Robert Mueller. / LUCAS JACKSON / REUTERS

Editorial du « Monde ». « Au-delà de tout doute raisonnable », dit le principe juridique… L’enquête du procureur indépendant Robert Mueller sur l’ingérence russe dans la campagne présidentielle américaine de 2016, publiée dans sa quasi-intégralité, jeudi 18 avril, n’a pas permis de lever ce fameux doute. En tout cas, pas assez pour inculper et faire condamner Donald Trump, ni pour collusion avec une puissance étrangère ni pour obstruction à la justice de son pays pour des faits qu’il n’aurait pas commis. Aux Etats-Unis plus qu’ailleurs, les procureurs ne mènent des procès que lorsqu’ils peuvent les gagner. Ce n’était manifestement pas le cas.

Les 448 pages du rapport Mueller sont toutefois édifiantes. Elles révèlent des liaisons dangereuses avec les Russes, coupables d’avoir piraté les courriels de la campagne de la candidate démocrate, Hillary Clinton. Elles décrivent un mélange de relations troubles, de mauvais coups et d’affairisme – Donald Trump, persuadé de n’être pas élu, menait sa campagne présidentielle tout en continuant à diriger son entreprise.

Les faits et les condamnations dans des affaires connexes de ses proches (son ex-avocat, Michael Cohen, son ex-directeur de campagne, Paul Manafort, son ex-conseiller pour la sécurité, Michael Flynn) ont été égrainés depuis deux ans. Mais cet étalement dans le temps a finalement permis d’en relativiser l’impact dans l’opinion.

Un président ne devrait pas agir comme ça

Le rapport Mueller contient aussi une perle, qui a de quoi laisser perplexe : dans une sorte d’aveu lorsqu’il apprend la nomination du procureur Mueller en mai 2017, Donald Trump lâche : « C’est la fin de ma présidence. Je suis foutu ! » Il ne cessera ensuite de multiplier les pressions sur le procureur spécial pour entraver la machine judiciaire, agissant tel un « parrain », comme l’a accusé à juste titre James Comey, le patron du FBI, lui-même limogé pour avoir refusé d’enterrer l’affaire.

Tweet mensongers, nominations et limogeages en fonction des services rendus : un président ne devrait pas agir comme ça, serait-on tenté de résumer. Donald Trump a répété qu’il était victime d’une chasse aux sorcières, mais on peine à lui donner raison. Si, in fine, il échappe aux poursuites, c’est presque malgré lui, parce que son entourage, notamment le conseiller juridique de la Maison Blanche Donald McGahn, a refusé d’exécuter ses ordres.

Les démocrates sont tentés de poursuivre le combat au Congrès et invoquent, avec les médias, le refrain de l’immoralité de Donald Trump. C’est vrai, mais politiquement aléatoire. En l’absence de collusion avec les Russes, l’affaire se résume pour beaucoup d’électeurs à un pitoyable combat dans le marais washingtonien.

Les Russes ont probablement influencé à la marge le scrutin de 2016, mais ils ne sont pas responsables des insuffisances de la campagne d’Hillary Clinton, qui n’avait même pas jugé nécessaire de visiter le Wisconsin, pourtant l’un des Etats pivots de la « ceinture de la rouille », cette région industrielle en déclin du nord-est des Etats-Unis, et elle n’avait pas hésité à traiter les électeurs de Donald Trump de « déplorables ».

Déplorable, le comportement du président l’a été à de maintes reprises depuis l’élection. C’est l’un des principaux enseignements du rapport Mueller. Un retour à un minimum de dignité s’impose, mais il sera le résultat de l’élection de 2020, pas son chemin. Faute de culpabilité avérée de Donald Trump, l’urgence pour les démocrates consiste désormais à se rassembler et à présenter un projet solide aux Américains.