Manifestation à Alger, le 19 avril. / RAMZI BOUDINA / REUTERS

Un cordon de police bloque les entrées du tunnel des facultés. A l’intérieur, une équipe de la police scientifique. Des manifestants patientent serrés sur les marches et tendent le cou dans l’espoir d’apercevoir quelque chose. D’autres se frayent un chemin dans les ruelles en pente pour contourner et poursuivre le parcours. Vendredi 19 avril, des centaines de milliers de personnes ont manifesté de nouveau dans les rues d’Alger pour demander un changement de système politique.

Si les revendications restaient similaires aux semaines précédentes, de nombreux manifestants s’inquiétaient d’une possible intensification de la répression du mouvement. En début de semaine, plusieurs militantes arrêtées lors d’un rassemblement ont affirmé qu’elles avaient été forcées de se dénuder dans le commissariat de Baraki, en périphérie sud d’Alger. Ce vendredi, une banderole blanche est suspendue à un balcon de la rue Didouche Mourad. Un portrait de l’inspecteur Columbo qui se tient la tête est imprimé sous un message : « Ma femme est algérienne, jolie, intelligente et forte, alors c’est une honte ce que vous avez fait à nos sœurs. »

« La loi algérienne ne permet pas aux policiers d’humilier ou de matraquer les étudiants, estime Fifi, enseignante à l’université, qui fait face aux policiers, pancarte aux lettres rouges à la main. Ils ont là pour la sécurité des citoyens, par pour l’intimidation des Algériens. » Elle souligne que depuis le début du mouvement, les forces de l’ordre ont été plus conciliantes que d’habitude mais certains de ses étudiants ont été interpellés ces dernières semaines. « Depuis l’arrivée de Bensalah (le président par intérim), le système essaye de se régénérer, en jouant la carte de la répression. Ils n’arrivent pas à accepter le pacifisme des manifestants. » Grandes boucles dorées aux oreilles, Nassima est venue manifester en famille. « Je considère qu’il y a eu des provocations la semaine dernière. Mais même s’ils devaient venir nous frapper, on n’aurait pas peur », dit-elle en souriant.

« Wanted »

Assis sur les marches d’une ruelle, des jeunes chantent : « Hey, vive l’Algérie, qu’ils s’en aillent tous ! » Sur le boulevard Mohamed-V, Abdelhafid s’aligne avec des bénévoles et d’autres habitants du quartier. Ils forment une chaîne pour empêcher les manifestants de se retrouver en confrontation avec les forces de l’ordre qui barrent l’avenue quelques mètres plus haut. Ce trentenaire ne fait partie d’aucun groupe et se rend habituellement aux manifestations seul, mais les affrontements de la semaine dernière dans le centre de la capitale l’ont marqué. « J’ai vu tellement de blessures, tellement de sang ! J’ai mis des gants et j’ai aidé les secours comme je pouvais. Aujourd’hui, je ne veux pas revoir une chose pareille. »

Selon les différents groupes de secouristes, plusieurs dizaines de personnes ont été blessées vendredi dernier. De très jeunes garçons tentent malgré tout de forcer le passage, certains se font sermonner par des hommes plus âgés. « J’ai l’impression qu’ils ne se rendent pas compte des conséquences que peuvent provoquer des affrontements », soupire Abdelhafid.

« On veut la démocratie, on veut un président élu par le peuple, un président jeune, qui sache donner aux Algériens ce qu’ils veulent », Narjis, 22 ans

Deux jeunes femmes passent, portant à bout de bras des représentations de Saïd Bouteflika, le frère de l’ancien président, et d’Ali Haddad, l’ancien chef de la principale organisation patronale du pays, aujourd’hui incarcéré à la prison d’El-Harrach après avoir tenté de franchir la frontière tunisienne, sur lesquelles il est inscrit « Wanted ». L’annonce de la tenue d’une réunion de concertation avec des partis politiques et des associations autour d’Abdelkader Bensalah n’a pas eu beaucoup d’impact. « On veut la démocratie, on veut un président élu par le peuple, un président jeune, qui sache donner aux Algériens ce qu’ils veulent », réclame Narjis 22 ans.

Près de la Grande Poste, des manifestants ont recouvert un mur d’images des victimes du « Printemps Noir », le mouvement de protestation qui avait eu lieu en Kabylie à partir du 18 avril 2011, et au cours duquel 127 personnes avaient été tuées par les forces de l’ordre. « Aujourd’hui, c’est différent, on a le droit de manifester désormais », sourit Mohamed, qui a entouré ses épaules d’un drapeau amazigh (berbère).

A 18 h 30, les rues se vidaient dans le calme. Dans la soirée, les médias ont annoncé le décès d’un jeune manifestant qui était hospitalisé depuis la manifestation de vendredi dernier. Selon une source hospitalière, il avait été victime d’un traumatisme crânien grave et était dans le coma. Une autopsie devait être pratiquée pour déterminer l’origine du décès.