Au Caire, le 16 avril, une banderole appelant à voter oui au référendum voulu par le président Sissi. / MOHAMED ABD EL GHANY / REUTERS

Editorial du « Monde ». C’est une Constitution taillée sur mesure pour Abdel Fattah Al-Sissi sur laquelle sont appelés à se prononcer les Egyptiens par référendum, du 20 au 22 avril. Le projet de révision constitutionnelle, lancé en février au Parlement, ouvre la voie au maintien au pouvoir jusqu’en 2030 du maréchal devenu président. Elu en 2014, et réélu en 2018, M. Sissi, 68 ans, verrait, à la faveur d’un article spécial, son mandat actuel étendu de quatre à six ans et pourrait se représenter pour un troisième mandat en 2024, en dépit de la limite – maintenue – des deux mandats.

L’apparent respect des règles du jeu ne saurait cacher la réalité d’une dangereuse dérive autoritaire. Huit ans après la révolution du 25 janvier 2011, qui avait mis un terme à trente années au pouvoir d’Hosni Moubarak, M. Sissi en solde le dernier acquis – la Constitution de 2014 – pour consolider un pouvoir personnel et sans partage. Arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat militaire, en juillet 2013, contre l’islamiste Mohamed Morsi, premier président élu démocratiquement un an plus tôt, l’homme fort de l’armée avait su tirer avantage de sa grande popularité auprès d’une population échaudée par un an au pouvoir de la confrérie des Frères musulmans pour se faire élire président en mai 2014.

La pire situation depuis des décennies

Mais depuis, celui qui aime à se présenter en nouveau Nasser n’a plus jamais pris le risque d’éprouver démocratiquement sa popularité. Après avoir violemment réprimé et emprisonné par milliers les militants islamistes, c’est à l’opposition prorévolutionnaire et à toute voix critique au sein de la société civile et des médias qu’il s’en est pris, laissant son appareil sécuritaire user à discrétion des disparitions forcées, des détentions arbitraires et de la torture, pour soumettre les récalcitrants. Pour les organisations de défense des droits de l’homme c’est la pire situation que connaît l’Egypte depuis des décennies.

Des médias au Parlement, en passant par la justice et les milieux d’affaires, tous ont été mis au pas. Le président Sissi a éliminé un à un ses potentiels rivaux à la présidentielle de 2018, par les menaces ou les arrestations, pour briguer sa réélection face à un candidat fantoche. Il y a fort à craindre qu’un tel scénario se reproduise en 2024. D’autant que le projet de réforme constitutionnelle parachève la mainmise du président sur la justice et consacre le rôle politique de l’armée, pilier du régime depuis 1952, en en faisant la gardienne de « la Constitution, la démocratie, la cohésion fondamentale du pays et sa nature civile ».

Dans le pays, peu de voix osent défier le dessein de M. Sissi. Plus rares encore sont les voix à l’étranger à émettre ne serait-ce que des réserves sur un projet sur lequel alertent les organisations de défense des droits de l’homme. Protégé de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis, M. Sissi est célébré dans toutes les chancelleries occidentales comme un rempart contre le terrorisme. Jusqu’à faire dire à Donald Trump, qui l’a reçu à Washington début avril : « C’est un super-président ! »

Ce soutien aveugle au président Sissi est d’autant plus anachronique à l’aune des soulèvements qui ont cours en Algérie et au Soudan. L’échec des « printemps arabes » n’a pas tu les aspirations d’une jeunesse largement majoritaire dans les sociétés moyen-orientales et africaines. Elle réclame, comme en janvier 2011 au Caire, « pain, liberté et justice sociale. »