Stuart Lancaster, le 25 septembre 2015 à Londres. / ADRIAN DENNIS / AFP

« J’ai raté 9 000 tirs dans ma carrière. J’ai perdu presque 300 matchs. Vingt-six fois, on m’a fait confiance pour prendre le tir de la victoire et j’ai raté. J’ai échoué encore et encore et encore dans ma vie. Et c’est pourquoi je réussis. » De Michael Jordan à Stuart Lancaster, il n’y a qu’un pas. La célèbre citation du basketteur américain pourrait résumer les hauts et les bas de la carrière de l’entraîneur anglais, ancien coach du XV de la Rose, devenu depuis deux saisons un élément essentiel dans la réussite actuelle que connaît la province irlandaise du Leinster, qui affronte le Stade toulousain, dimanche (16 h 15) en demi-finales de la Coupe d’Europe de rugby.

L’Anglais n’était d’ailleurs pas loin de dire la même chose, en janvier lors d’un séminaire à Dublin, lorsqu’il lui fallut, pour la énième fois, revenir sur l’événement qui fit de lui un éminent spécialiste de l’échec : l’humiliante élimination dès le premier tour de l’Angleterre lors de sa Coupe du monde de rugby en 2015, une première pour un pays hôte. « Il faut échouer pour devenir un bon leader. J’ai échoué publiquement, et ça m’a fait devenir un meilleur coach. Je ne suis pas Joe Schmidt, Martin Johnson ou Eddie Jones : je suis Stuart Lancaster et c’est important d’être soi-même. Les gens veulent vous voir tel que vous êtes, en toute authenticité. »

Lancaster n’en a jamais manqué. C’est même en partie grâce à cela qu’il a été propulsé à la tête du XV de la Rose, avec la mission de redonner un peu de dignité à une sélection qui sortait d’un Mondial 2011 marqué par une déroute sportive (défaite en quarts contre la France), mais surtout morale, les Anglais ayant trop souvent animé la chronique des faits divers lors de leur séjour en Nouvelle-Zélande.

Technicien de l’ombre, ancien professeur d’éducation physique et chargé depuis 2008 de la formation et du développement des joueurs de haut niveau au sein de la Fédération anglaise de rugby (RFU), Lancaster est appelé au chevet de l’équipe première, avec un premier contrat d’intérimaire que personne n’imagine alors se voir pérenniser. Sauf que le fils de fermier fait mieux que de remettre de l’ordre dans la maison rouge et blanche, et la RFU le confirme dans ses fonctions, sans que cela ne choque plus personne, à l’issue d’un Tournoi des six nations 2012 réussi, avec une deuxième place à la clé.

Un coach en quête de sens

L’ère Lancaster s’ouvre, inattendue et heureuse. Les observateurs louent alors sa culture du jeu, ses capacités de travail, sa pédagogie et sa communication sans faux-semblant vis-à-vis des joueurs comme de la presse. La Rose retrouve des couleurs, l’Angleterre développe un jeu de mouvements qui suit celui du rugby moderne, et Lancaster trouve sa méthode, mélange de recherche technique et de retour aux sources, en travaillant notamment sur l’implication de ses joueurs.

Au-delà du jeu, le coach veut du cœur. Il fait de l’amour du maillot son socle et veut que chaque joueur s’engage en pensant plutôt à la postérité, à la trace qu’il laissera dans l’histoire du jeu, plutôt que pour un titre ou un trophée. Concrètement, il met en place des cours d’histoire du rugby anglais et va même jusqu’à demander aux parents des joueurs qu’il sélectionne d’écrire à leurs enfants pour leur expliquer ce que cela signifie, pour eux, de voir leurs ouailles porter les couleurs du XV de la Rose.

Une quête de sens que Lancaster accompagne d’un projet de jeu construit sur la vitesse et le mouvement, inspiré des méthodes néo-zélandaises. Malgré des résultats en demi-teinte (28 victoires en 46 matchs, dont 16 en 20 rencontres du Tournoi, mais aucun titre), Lancaster garde un certain crédit, en attendant la Coupe du monde 2015, disputée en Angleterre, que tout un pays rêve de soulever. Et là, c’est le drame : deux défaites en poule, contre le pays de Galles puis l’Australie, et le pays hôte prend la porte en pleine tronche, sans même voir les quarts de finale. Droit dans ses bottes, responsable en chef de l’infamante déroute, Stuart Lancaster est sèchement viré « d’un commun accord » par la RFU.

L’homme tombe de haut et en prend pour son grade. La presse lui reproche d’avoir préparé une équipe de bons soldats, sans véritables leaders, au risque de se priver des fortes têtes. Au premier rang desquels figure le talonneur Dylan Hartley, non retenu pour le Mondial 2015, et qui sera, ironie du sport, promu capitaine dès 2016 à l’arrivée d’Eddie Jones. L’Angleterre réussit alors une série de 18 matchs sans défaite, comme un pied de nez à Lancaster. Sauf qu’Eddie Jones ne tarde pas à rendre à Stuart ce qui appartenait à Stuart, en louant tout le travail de bâtisseur effectué par son prédécesseur. Lequel peine à s’en remettre.

Avant le match de l’Angleterre contre le pays de Galles, le 26 septembre 2015 à Twickenham. / Dylan Martinez / REUTERS

Le texto de Sexton

Pendant un an, Lancaster erre d’une mission à l’autre, pigeant auprès des Falcons d’Atlanta (football américain), de l’équipe de cyclisme de Grande-Bretagne, ou de la Fédération anglaise (de football). « Je me sentais abattu. La responsabilité de ne pas avoir réussi me pesait lourdement », expliquait-il au quotidien The Guardian, en février. « On ne sait plus trop à quoi on sert quand on ne travaille pas à plein temps. On passe son temps à réfléchir. Mon dernier match était celui de la Coupe du monde. Tout ce que j’avais fait avant était effacé. On se demande aussi ce qui va se passer ensuite. Beaucoup d’entraîneurs de sélections ne reviennent plus… »

Lancaster broie du noir. Puis il reçoit un texto de Jonny Sexton, à l’orée de l’automne 2016. L’ouvreur irlandais, star du XV du Trèfle, lui écrit pour achever de convaincre le technicien de sortir de sa déprime en traversant la mer d’Irlande. A la recherche d’un entraîneur pour épauler leur manager principal Leo Cullen, les dirigeants du Leinster ont fait de Lancaster leur priorité. « Si vous connaissez le rugby et que vous avez regardé l’Angleterre, vous savez quel boulot incroyable il a fait avec cette équipe », expliquera ensuite Sexton.

Stuart Lancaster sent qu’il tient là un challenge à la mesure de l’humiliation subie un an plus tôt avec le XV de la Rose, et qui le travaille encore. « Je ne dirais pas que ça ne fait plus mal et que je n’y pense pas encore beaucoup. Parce que j’y pense encore beaucoup. Roy Hodgson, ancien sélectionneur de l’équipe d’Angleterre de football, m’a dit : la cicatrice ne s’effacera jamais, mais elle s’estompe. » Pour ça, Lancaster reprend du service. Et refait l’unanimité, dans un Leinster qui se remet à jouer, et à gagner, avec un doublé Pro14 (le championnat dans lequel évoluent les provinces irlandaises) et Coupe d’Europe en 2018.

« Je n’ai que 49 ans, je veux continuer à apprendre et à me développer. J’ai l’impression que j’ai encore un long chemin à faire. » Le Stade toulousain espère que ce chemin s’arrêtera cette saison en demi-finales de la Coupe d’Europe, et que Stuart Lancaster pourra devenir un coach encore meilleur grâce à une petite défaite, dimanche à Dublin.