A Ouagadougou, le 27 avril 2019, au premier rang, l’ex-ministre des affaires étrangères burkinabé Djibrill Bassolé et le général Gilbert Diendéré lors du procès du putsch manqué de 2015. / AHMED OUOBA / AFP

Dans la chambre de jugement du tribunal militaire de Ouagadougou, l’assistance retient son souffle en ce début avril. Des vidéos de septembre 2015, cette semaine où tout a basculé au Burkina Faso, défilent sur des écrans de télévision : plusieurs militaires encagoulés de l’ancien Régiment de sécurité présidentielle (RSP) frappent des manifestants à coups de matraque et de ceinturon, des corps gisent au sol dans une mare de sang, derrière des tirs retentissent et des véhicules brûlent dans les rues de la capitale. « C’est le film de l’horreur, le jour le plus sombre du procès », lâche un avocat des parties civiles. « Ces images sont insoutenables, comment peut-on battre à ce point quelqu’un qui vous supplie ? », s’interroge le parquet.

Ouvert depuis plus d’un an, le procès du putsch manqué de 2015, où des soldats du RSP
avaient tenté de renverser le gouvernement de transition mis en place à la chute de l’ancien
président Blaise Compaoré après vingt-sept ans de pouvoir, s’est accéléré il y a quelques semaines avec la diffusion des pièces à conviction. Images d’archives, écoutes téléphoniques, plus de 200 documents confidentiels, que Le Monde Afrique a pu consulter, ont été dévoilés, et apportent de nouvelles révélations sur le « coup d’Etat le plus bête du monde », comme l’avaient ainsi qualifié les Burkinabés.

« Ils sont venus chercher à la maison »

Avec ces pièces, l’étau se resserre autour du « cerveau » présumé du coup du 16 septembre 2015, le général Gilbert Diendéré. Celui qui avait pris la tête des putschistes après l’arrestation du président de la transition Michel Kafando et d’une partie du gouvernement continue pourtant à nier. « Je n’ai ni commandité, ni planifié, ni organisé, ni exécuté ce que les gens appellent coup d’Etat, s’est-il défendu à la barre, toujours vêtu de son treillis militaire. J’ai pris la responsabilité morale des événements pour ne pas laisser le pouvoir aux mains des sous-officiers et plonger ainsi le pays dans le chaos. […] Ce sont eux qui sont venus me chercher à la maison. »

Plusieurs relevés téléphoniques font douter de cette version. Le 16 septembre 2015, vers 17 heures, peu après la prise d’otages des autorités au palais présidentiel de Kosyam, le général Diendéré a appelé le directeur de la police nationale et lui aurait demandé « son soutien » ainsi que « l’envoi d’une mission de patrouille et de maintien de l’ordre » dans la capitale. « Je ne pouvais pas dire non frontalement, ça aurait été suicidaire », a expliqué le commissaire Lazare Tarpaga à la barre en février. Ce soir-là et les suivants, les patrouilles du RSP ont fait régner la peur dans la capitale, dispersant les anti-putschistes par des tirs de sommation et à balles réelles. Selon le directeur de l’autorité de régulation des communications de l’époque, « Golf » (surnom du général Diendéré) lui aurait également ordonné de « suspendre les SMS et les réseaux sociaux » utilisés par les manifestants pour s’organiser.

L’une des pièces à conviction, « une des clés de l’énigme de ce coup d’Etat » selon un avocat, a également retenu l’attention du tribunal : le fichier de la proclamation du putsch, lue le 17 septembre 2015 à la télévision nationale par un certain lieutenant-colonel Bamba, et retrouvé sur l’ordinateur de Gilbert Diendéré. Le document a été créé le 14 septembre, deux jours avant les événements. La preuve, pour le parquet, que le putsch a bel et bien été « orchestré ».

Le camp du président Blaise Compaoré, déchu après l’insurrection populaire d’octobre 2014, était-il pour autant à la manœuvre ? Un appel reçu, sur les quelque 2 600 coups de fil et SMS qu’aura échangés le général en cinq jours, semble en attester. Le 26 septembre à 18 h 20, alors que le général Diendéré a officiellement capitulé et que le président Michel Kafando a repris le pouvoir, un membre haut placé du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti de Compaoré, lâche : « On tient à vous soutenir pour ce que vous avez fait pour nous. » « Moi je l’ai fait mais vous ne m’avez pas suivi », rétorque mystérieusement « Delta », le nom de code donné par les enquêteurs à Gilbert Diendéré.

« Tu seras président »

Certaines zones d’ombres persistent : à quoi ont donc servi les 50 millions de francs CFA, qui auraient été expédiés avec du matériel de maintien de l’ordre le 18 septembre 2015 depuis la Côte d’Ivoire par hélicoptère militaire ? « L’argent provient d’une collecte de fonds de la part de nos amis en vue de soutenir nos activités », répond à la barre Léonce Koné, deuxième vice-président du CDP au moment des faits, et poursuivi pour « complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat et coups et blessures ».

D’autres écoutes téléphoniques, jusqu’ici tenues secrètes dans le cadre du dossier
d’instruction, viennent cette fois éclabousser de hauts responsables politiques et militaires
ivoiriens. Si un extrait d’une conversation présumée impliquant Guillaume Soro, l’ex-président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, et Djibrill Bassolé, ancien ministre
burkinabé des affaires étrangères – poursuivi pour « trahison, complicité d’attentat à la
sûreté de l’Etat, meurtres, coups et blessures »
– avait déjà fuité sur Internet et fait couler
beaucoup d’encre, d’autres entretiens pourraient embarrasser davantage l’ex-chef rebelle
ivoirien. M. Soro aurait ainsi eu de multiples échanges avec le général Diendéré, lui adressant encouragements et conseils militaires, allant même jusqu’à lui demander – dans une écoute dévoilée lors du procès –, sur le ton de l’ironie, de le nommer « numéro 2 du RSP » en lui disant, « toi Diendéré tu seras président du Burkina ».

Le nom du général ivoirien Soumaïla Bakayoko, chef d’état-major général des armées au moment des faits, est également cité dans le dossier. Il aurait encouragé le général à
passer à la force pour reprendre « l’avantage » : « Quand un soldat est pris de cette façon-là,
il n’y a pas deux solutions, il tire pour se dégager.
[…] Tu es condamné à mener l’action »,
rapporte la retranscription. Plus compromettant encore, le général Diendéré aurait été en contact, au regard des pièces du procès, avec des membres du Mouvement de libération de l’Azawad (MNLA), lesquels projetaient l’envoi de combattants pour prêter main-forte aux putschistes. « J’ai eu Blaise, il m’a dit de tout mettre en œuvre à la frontière et de vous suivre. Dès que tu me donnes le signal, on y va », lui aurait dit Mahamadou Djéri Maïga, l’ancien vice-président de la rébellion touareg dans le nord du Mali, aujourd’hui décédé.

« Sur Internet tout est possible »

En attendant le verdict de ce procès historique, qui selon nos sources devrait être rendu d’ici à quelques mois, la défense des accusés n’en démord pas. Pour Me Dieudonné Bonkoungou, ces écoutes auraient été « fabriquées, manipulées à dessein, dans le seul but de salir » son client. « Qu’on me dise d’où viennent ces écoutes, qui les a enregistrées et comment elles se sont retrouvées sur la place publique ? […] Sur Internet, tout est possible », soutient Djibrill Bassolé devant les juges.

Dans le public, présent en nombre en novembre et décembre 2018 pour assister à l’interrogatoire des deux généraux, l’impatience grandit. Victimes, fidèles partisans de « Golf » ou simples curieux, tous réclament que la lumière soit faite sur les événements de septembre 2015, qui avait fait 14 morts et plus de 250 blessés.