La ministre des sports Roxana Maracineanu et le président de la Fédération française de natation, Gilles Sezionale, le 21 avril à Rennes. / DAMIEN MEYER / AFP

Fabrique à médailles olympiques ou désengagement de l’Etat ? C’est l’heure du baptême pour l’Agence nationale du sport, lancée sur fond de conflit ouvert entre le gouvernement et les conseillers techniques sportifs.

Dépoussiérer le modèle sportif français, basé sur une tutelle de l’Etat devenue théorique et plus très efficace, tel est le credo de ceux qui défendent la nouvelle structure, dont le premier conseil d’administration a lieu mercredi au Stade de France. Désormais, quatre acteurs vont y piloter les orientations pour la haute performance, avec les JO de Paris 2024 à l’horizon, et le développement des pratiques : l’Etat, les collectivités territoriales, le mouvement sportif (comité olympique et fédérations) et, dans une moindre mesure, les entreprises.

C’est notamment au sein de cette agence, et non plus au ministère, que seront décidés les montants des subventions aux fédérations pour le haut niveau. « Jusqu’à maintenant, la vision c’était : on a des acteurs qui bossent pour nous, les fédérations, les associations, on va leur donner de l’argent pour qu’ils mettent en place les politiques publiques du sport, et on va prier très fort pour que ça se fasse », a expliqué à l’AFP la ministre des Sports Roxana Maracineanu. « L’Etat a rarement l’habitude de tendre la main aux autres en disant on va donner des financements mais on va recueillir l’avis des acteurs », plaide-t-elle pour ce projet « visionnaire », qu’elle a récupéré en prenant ses fonctions, en septembre.

Une agence en plus, un ministère en moins ?

Mais pour beaucoup, c’est la disparition du ministère qui se dessine. « Qui va décider de la politique publique de l’Etat français en matière sportive ? », demande l’ancienne ministre des Sports Marie-George Buffet. « Ce n’est pas un partenariat. Petit à petit, l’Etat se retire et Bercy se frotte les mains : un ministère de moins c’est toujours ça de pris », affirme la députée communiste.

L’agence répond à la demande d’autonomie d’une partie du mouvement sportif. Mais le gouvernement veut aller plus loin, en transférant aux fédérations la gestion des 1 600 conseillers techniques sportifs (CTS), ces cadres payés par l’Etat, comme les directeurs techniques nationaux (DTN) et entraîneurs de haut niveau, que de nombreuses fédérations olympiques considèrent indispensables. Un chiffon rouge pour des patrons de fédés, qui s’inquiètent de ne pas pouvoir les payer, et les agents eux-mêmes, qui y voient une attaque contre leur statut.

Pour couronner le tout, le Conseil d’Etat a émis la semaine dernière des réserves sur l’agence du sport, jugeant anormal, pour un groupement d’intérêt public (GIP), que l’Etat soit le seul à mettre au pot : environ 350 millions d’euros en 2019, issus du budget du ministère, dont environ 45 millions correspondent à des restes à payer de projets déjà engagés.

Mardi, une centaine de CTS ont protesté devant le Comité national olympique sportif français (CNOSF) où se réunissaient leurs représentants syndicaux, des présidents de fédérations et le président du CNOSF Denis Masseglia. « Ce n’est pas en mettant tout dans le privé qu’on aura des meilleurs résultats. Le projet doit être stoppé », a estimé Jean-Christophe Sanavarny, CTS tennis en Normandie.

« Il faut un équilibre entre le côté associatif et les résultats de la nation, et les CTS sont les garde-fous de cet équilibre », a ajouté Patrice Gergès, DTN de l’athlétisme français. Christian Dullin, secrétaire-général de la Fédération française de rugby a pour sa part salué la mission des CTS: « on a besoin de vous dans les fédérations, on ne vous lâchera pas. »

Impératif de réussite pour Paris 2024

Après plusieurs retards, le gouvernement a maintenu son calendrier. En décembre, son expert en haute performance, l’ancien sélectionneur des Bleus de handball Claude Onesta, avait regretté de ne pas pouvoir se mettre au travail. Lors des quatre derniers JO d’été, la France s’est classée 7e au tableau des médailles. « Tokyo 2020, si on est lucides, pourrait être un moment un peu compliqué », concédait Onesta à l’automne.

Pour nombre d’acteurs interrogés, au-delà de l’impératif de réussite à Paris 2024, l’agence a face à elle de gros défis. Ainsi, le passage des subventions par les fédérations a pour but de se rapprocher des besoins du terrain mais il alimente aussi les craintes de clientélisme entre patrons de fédés et clubs. Autre question, l’Etat, qui garde 60% des voix au conseil d’administration sur le haut niveau et un droit de véto, va-t-il vraiment jouer le jeu de la gouvernance partagée ? Enfin les entreprises privées vont-elles soutenir le projet et apporter des financements ? La partie ne fait que commencer.