« Katana Zero » se veut un « jeu d’action-plate-forme néo-noir stylé, avec de l’action hyper-cadencée et des morts instantanés ». / Askiisoft

« Et surtout n’oublie pas : pas de survivants ! », exhorte un donneur d’ordre dont on ne saura jamais grand-chose. Dès les premières minutes du surprenant jeu indé Katana Zero, sorti le 19 décembre 2018 sur PC et Switch, le ton est donné. Sabre au flanc, le joueur pourfendra sans répit des hordes de loubards, de gorilles, de paramilitaires, dans les décors des franges interlopes d’une mégalopole – une usine désaffectée, une boîte de nuit, une prison, etc. C’est à la condition de les avoir tous éliminés qu’il pourra progresser, tableau après tableau, jusqu’à la prochaine sortie ; comme tant d’autres jeux d’action l’ont fait avant lui – sauf que lui va bien plus loin.

Un jeu d’action d’apparence classique

De prime abord, la force de Katana Zero réside dans son hommage aux années 1980 – du moins, telles qu’on se les imagine aujourd’hui. Dans l’ambiance, d’abord, avec ces paysages de pixels baignés de couleurs fuchsia, comme éclairés aux néons, finalement plus proches du film Drive, de Nicolas Winding Refn, que du cinéma d’époque, et cette bande-son planante qui elle-même cligne ostensiblement des yeux en direction de Kavinsky.

Esthétique néons et coups d’épée foudroyants : « Katana Zero » synthétise plusieurs années de jeux à l’esprit néo-eighties. / Askiisoft

Dans l’action, ensuite, avec ce héros tout droit sorti d’un film d’arts martiaux japonais, dont le look tranche avec les décors occidentaux lugubres, autant que sa lame tranche dans la chair des gardes qu’il pourfend. On pense à Shinobi et Ninja Gaiden, modèles de l’époque un peu poussiéreux aujourd’hui. Mais aussi au bien plus moderne Hotline Miami, pour la planification, la brièveté, les spectaculaires gerbes de sang et la folle intensité cathartique de chaque séquence d’action.

Rajoutons que ledit héros maîtrise le temps, qu’il peut ralentir ou rembobiner, et que ses roulades express le rendent momentanément invincible. Voilà tous les ingrédients réunis pour incarner celui que l’on surnomme « le Dragon », un tueur à gages insaisissable redouté de tout ce que le Premier District compte de pègre. Et pour faire de Katana Zero un jeu d’action néorétro vif, entraînant, efficace et gratifiant. Sauf que, justement, il est bien plus que cela.

Katana ZERO - Therapy Session Trailer
Durée : 01:39

A la manière d’un « Léon » cyberpunk

Rembobinons. Dès la première scène, la voix off interroge le héros sur ses songes, et ces personnages masqués qui le hantent. Une fois sa mission finie, cet étrange justicier en kimono de ronin rentre chez lui, seul, dans un T1 sinistre d’un quartier lugubre, à la manière de Léon, le film de Luc Besson, mais dans un univers eighties sombre et paranoïaque.

Il a pour seuls compagnons un frigidaire rempli de restes de poissons, deux ou trois hommages aux films de samouraï, un clic-clac face à la télévision, et le JT qui égraine le nombre de ses victimes du jour. Le soir, le héros sera visité par d’éprouvants cauchemars, dont il s’ouvrira le lendemain, dans des séquences de dialogues interactifs inattendus, auprès de son psychiatre. Cette routine, c’est la sienne, pourfendeur obsessionnel mis face à son vide existentiel.

Le héros passe régulièrement voir son psychiatre, qui est autant un donneur d’ordre qu’un confident, pour explorer la part d’ombre de son passé. / Askiisoft

« Et surtout n’oublie pas : pas de survivants ! », entendait-on dès les premiers instants du jeu, et petit à petit, ce qui commençait comme un jeu d’action technique et défoulant prend peu à peu la forme d’un récit noir, plongée dans un vaste complot et la psyché tourmentée d’un personnage aussi ignorant de lui-même que ne l’est le joueur des retournements de situation à venir.

Mise en abîme vertigineuse

On pensait jouer à un remake moderne de Shinobi, et voilà que le scénario, de virages brutaux en effets de manche inattendus, de personnages oniriques en scènes hallucinatoires, prend peu à peu l’ampleur et la complexité d’un Metal Gear. A plusieurs moments, sans jamais aller jusqu’à briser le quatrième mur et interpeller directement le joueur, Katana Zero parvient à distiller un doute vertigineux : pourquoi au juste, équipé de notre lame de samouraï, prenons-nous tant de plaisir à tuer ? Ivresse d’une expérience qui valorise d’abord la performance technique, puis déstabilise en devenant réflexive.

L’aventure cesse dès lors de se faire régressive et entraînante ; elle devient vénéneuse, entêtante, malsaine ; aux doutes du héros se superposent les nôtres ; chaque nouveau combat revêt une lourdeur nouvelle ; le doute, la colère, la vulnérabilité deviennent nos seuls derniers compagnons. Katana Zero est ce jeu capable de s’engager en wheelie sur l’autoroute de l’hommage-cliché, pour sortir d’un long dérapage contrôlé à la bretelle de l’expérience méta.

Sous ses airs de jeu d’action survolté, « Katana Zero » pousse son héros jusque dans ses retranchements – et le joueur avec. / Askiisoft

Une grande part du plaisir réside bien sûr dans celui de la découverte, et il est difficile d’en dire plus sans risquer de le gâcher. Formulons au moins ceci : arrivé sur la pointe des pieds, cette production signée d’un collectif de game designers indépendants est d’ores et déjà l’une des révélations de l’année, une expérience à la fois jouissive et estomaquante, qui rend le reste du paysage vidéoludique étrangement prévisible, en comparaison. Et surtout, n’oubliez pas : pas de survivants !

En bref

On a aimé

  • Un scénario qui retourne la tête.
  • Une narration atypique, ambitieuse et réussie.
  • L’ambiance néorétro impeccable.
  • La bande-son obsédante
  • Narration et level design ciselés.

On n’a pas aimé

  • Parfois un peu confus.
  • Beaucoup de Die & retry (« retente et remeurs », dans notre cas).

C’est plutôt pour vous si…

  • Vous aimez les jeux prenant le joueur à contre-pied.
  • Vos jeux cultes sont Metal Gear Solid, The Messenger et Spec Ops : The Line.
  • Vous ne dites jamais non à un jeu d’action à l’esprit 80’s.
  • Vous estimez que la bonne longueur pour un jeu de ce genre est six heures.

Ce n’est pas pour vous si…

  • Vous ne supportez pas les thématiques dérangeantes – drogue, torture, hyperviolence.
  • Vous n’arrivez pas à rentrer dans l’univers s’il est en 2D.
  • Vous cherchiez juste un hommage à Shinobi, pas plus.

La note de Pixels

Karaté Kid chez Sigmund Freud par un apprenti Hideo Kojima/10.