Le ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian et le maréchal Khalifa Haftar, à l’Elysée, le 29 mai 2018. / LUDOVIC MARIN / AFP

Editorial du « Monde ». L’enfer, c’est bien connu, est pavé de bonnes intentions. Dans l’enfer libyen post-Kadhafi, la France a eu une obsession, plus pressante encore après les attentats terroristes parisiens de 2015 : empêcher l’organisation Etat islamique (EI) de prendre le contrôle de ce territoire stratégiquement situé sur la Méditerranée, aux portes de l’Europe, et dont l’unité était gravement menacée par les milices rivales.

Cette préoccupation était d’autant plus légitime que l’intervention militaire franco-britannique en Libye, en 2011, qui devait entraîner la chute du colonel Kadhafi, n’était pas sans lien avec le chaos sur lequel avait pris pied l’EI. D’une certaine manière, Paris et Londres se retrouvèrent avec une obligation officieuse d’assurer le « service après-vente » de leur intervention. Ce devoir moral, doublé de la priorité sécuritaire, a acquis une dimension supplémentaire avec la crise migratoire de 2015 : le verrou libyen ayant sauté avec la dictature de Kadhafi, il fallait trouver d’autres moyens d’empêcher le trafic meurtrier des passeurs. C’est ainsi que, dans une remarquable continuité, y compris dans ses déboires, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, qui avait décidé de l’intervention de 2011, puis sous celle de François Hollande et depuis 2017 avec Emmanuel Macron, la France est devenue un acteur dans le conflit libyen.

Solitude française

François Hollande résume le dilemme français avec une cruelle simplicité, dans l’enquête que nous publions aujourd’hui sur ce sujet : « Se désintéresser du dossier aurait été une grave erreur, dit-il. Mais nous nous sommes retrouvés très seuls. » Cette solitude s’est particulièrement révélée dans le choix qui a été fait à Paris dès 2015, essentiellement par Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la défense, de jouer la carte du maréchal Khalifa Haftar, qui est apparu comme une solution contre la fragmentation de la Libye. Le soutien à cet ancien proche de Kadhafi, formé à l’école soviétique avant de se réfugier aux Etats-Unis puis revenu en Libye pour prendre la tête d’une coalition d’anciens officiers, d’influentes tribus de l’est et de libéraux anti-islamistes s’est, militairement, révélé judicieux : Haftar, estiment les experts de la région, a réussi à évincer l’EI de Benghazi et à contenir dans le Sud les déplacements des groupes armés vers le Sahel.

Héritant du dossier dans un moment d’accalmie, le président Macron veut faire de la Libye l’emblème d’une politique étrangère audacieuse et protectrice face au terrorisme et aux migrations incontrôlées. Passé de la défense aux affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian assure la continuité de la ligne Haftar, tout en soutenant la recherche d’une solution politique sous l’égide de l’ONU.

Malheureusement, dans cette ambition d’une « Europe qui protège » au sein de laquelle la diplomatie française se voit jouer un rôle de premier plan, la France reste aussi seule que sous la présidence Hollande. Parfois par sa faute, en négligeant, par exemple, d’associer l’Italie à ses efforts. Mais aussi parce que les intérêts et les rivalités des grandes puissances se mêlent au duel entre le maréchal Haftar et le chef du gouvernement d’union nationale, Faïez Sarraj, contre lequel Haftar lance une offensive sur Tripoli le 4 avril. La Libye est devenue le champ clos de tous les affrontements du monde musulman. Face à un tel chaos, Paris doit se rendre à l’évidence : pour ne pas perdre l’équilibre, mieux vaut avoir des soutiens solides.