L’avis du « Monde » – à voir

Réalisé pour une poignée de yens, enfin… trois millions, soit 25 000 euros, Ne coupez pas ! a connu une fortune étonnante : sorti dans une seule salle au Japon, fin 2017, le film a entrepris au début de l’année suivante un périple triomphal dans les festivals du monde entier, les généralistes comme ceux consacrés au cinéma fantastique. Il faut dire que cette pochade qui puise dans le répertoire des films de zombies réussit à être tant de choses à la fois qu’il est difficile de ne pas y trouver matière à aimer.

La limite entre réalité et fiction se brouille et quelques membres de l’équipe succombent à la contagion zombiesque

Les 37 premières minutes de Ne coupez pas ! servent, entre autres, à justifier son titre français : en un seul plan, Shinichiro Ueda filme une équipe de cinéma qui s’est installée dans une usine abandonnée pour y tourner une histoire de zombies. De toute évidence, ces gens sont fauchés : le réalisateur (Takayuki Hamatsu) est très énervé et persécute la jeune première (Yuzuki Akiyama) qui ne parvient pas à jouer la terreur. Jusqu’à ce que la limite entre réalité et fiction se brouille et que quelques membres de l’équipe ne succombent à la contagion zombiesque. Un assistant arbore le moignon sanglant d’un bras sectionné, la maquilleuse (Harumi Shuhama) – qui vient de faire la démonstration de ses talents en matière d’autodéfense – n’hésite pas à décapiter un collègue.

Contrairement à d’autres exercices du même genre, ce plan unique est plein d’imperfections, dont il est, par ailleurs, difficile de juger, puisque l’on ne sait pas qui est censé être dans le champ ou pas et que la frontière entre gens de cinéma et morts vivants a été effacée. Quand on entend enfin crier « coupez », il reste une heure de film. Le mieux est de la découvrir sans lire ce qui suit. Mais il faut bien en parler pour rendre justice à Ne coupez pas !

Une célébration du cinéma ordinaire

Il s’agit d’une célébration du cinéma ordinaire, celui qui se fait sans qu’on dispose des moyens nécessaires, celui qui se fait grâce aux, ou malgré, les compromis un peu honteux. Un flashback montre le réalisateur dans le bureau d’une chaîne télévisée qui va se lancer. Celle-ci sera entièrement vouée aux zombies (on se demande comment personne n’y a encore pensé) et parmi ses émissions inaugurales, les dirigeants voudraient voir figurer un film en un seul plan. Le réalisateur est aussi catastrophé que terrifié et il faut toute l’énergie de son épouse pour qu’il se décide à accepter sa mission. Cette satire du show business moderne est un peu pesante, mais elle passe vite pour laisser la place au dernier tiers du film qui montre les secrets de fabrication du premier tiers.

C’est une leçon de cinéma, c’est aussi une comédie burlesque d’une remarquable inventivité : la confection de ce plan séquence ressemble plus à un court-métrage burlesque des débuts du cinéma qu’à La Nuit américaine. Reste qu’arrivé au dernier plan, le vrai, le sentiment qui l’emporte n’est pas la dérision mais l’admiration pour l’ingéniosité et l’énergie mises à réaliser un projet dérisoire devenu un impératif absolu.

Bande annonce du film : Ne coupez pas !
Durée : 01:10

Film japonais de Shinichiro Ueda. Avec Takayuki Hamatsu, Yuzuki Akiyama, Harumi Shuhama (1 h 36). Sur le Web : necoupezpas.com